Après l'orage
de Selva Almada

critiqué par Débézed, le 31 décembre 2015
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Huis clos à ciel ouvert
Le révérend, chrétien convaincu jusqu’au tréfonds de son âme et orateur fascinant, parcourt les campagnes arides de l’Entre Rios et du Chaco en Argentine pour apporter la bonne parole aux populations éloignées de tout même de la foi, il préfère cette vie errante et lucrative car il est payé grassement pour ses prêches qui incitent les fidèles à plus de générosité à l’heure de la quête. Il est accompagné de sa fille âgée de seize ans. Un jour de grande chaleur, leur voiture tombe en panne et ils doivent attendre qu’un mécanicien installé dans un coin de cette campagne perdue la répare. Attendant patiemment que le réparateur détecte la cause de cette panne, le prédicateur tente de convertir le fils du garagiste qui est très impressionné par le magnétisme du révérend.

Le cadre de cette histoire comporte de nombreux éléments que j’ai souvent rencontrés dans les romans latino-américains : un pays écrasé sous la chape cuisante du soleil, une végétation brûlée, une sécheresse perpétuelle ou presque, des êtres rares et amorphes, un coin de pays perdu, loin de tout, où l’auteure peut installer un huis clos en plein air entre les quatre personnages de cette intrigue : le révérend, le garagiste, le fils du garagiste et la fille du prédicateur. Pendant que le garagiste s’affaire autour de la voiture en panne, le révérend essaie de convaincre son fils de rejoindre les fidèles du christ et quand l’orage arrive enfin, il propose au père d’emmener le fils à la ville pour suivre des études chez les religieux mais le père refuse et l’affrontement enfle en même temps que l’orage.

Un texte construit a priori autour de la religion et de son rôle dans une société fruste, isolée, prédisposée à toutes les craintes et superstitions concernant la vie après la mort et la rédemption, où l’affrontement entre le révérend mystique et le père non croyant, hostile à toutes les religions, sonne comme une métaphore des nombreux conflits religieux qui ensanglantent actuellement la planète. Mais, ce texte tourne aussi autour d’un thème moins explosif mais plus pernicieux qui fermente au tréfonds des âmes des héros : l’abandon. Le révérend a toujours dans son esprit cette angoisse qu’il a ressentie quand sa mère l’a confié au prédicateur qui devait le baptiser. Sa fille a vu son père abandonner sa mère sur le bord d’une route, le fils du garagiste a été abandonné par sa mère qui l’a confié au garagiste en le convainquant qu’il en était le père. Et le garagiste lui-même n’est pas à l’abri de l’abandon par son fils qui veut suivre le révérend.

Un texte fort, dense, bien équilibré qui transporte le lecteur dans ce pays étouffant au cœur d’un huis clos tout aussi étouffant. Un premier roman maîtrisé où les prêches du révérend, insérés dans le texte, constituent les plus belles pages d’écriture du récit, dépassant la religion, comme souvent en Amérique du sud, pour inciter les peuples à la révolte.

« …méfiez-vous des mots forts comme des mots jolis. Méfiez-vous de la parole du patron comme de celle de l’homme politique. Méfiez-vous de celui qui dit être votre père ou votre ami. Méfiez-vous de ces hommes qui prétendent parler à votre place et dans votre intérêt. »