Poutine pour emporter
de Marie-Ève Gosemick

critiqué par Libris québécis, le 17 décembre 2015
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
La Colombie salvatrice
Un titre racoleur attire le lecteur sans pour autant combler nécessairement ses attentes. La déception peut l’attendre au détour. Pour les Européens qui me suivent, sachez que la poutine en question ne réfère pas au président de la Russie. C’est un plat apparu dans les années 1960, dont raffolent les jeunes Québécois et même leurs aînés. Avant cette décennie, le terme évoquait un dessert. De nos jours, il renvoie à des frites que l’on sert avec du gravy (sauce brune) et des crottes (grains) de fromage. Les restaurants dignes de ce nom n’ajouteront pas ce plat à leur menu. C’est du fast food populaire qu’offre maintenant MacDonald avec du bacon. L’entreprise l’a baptisé le Petry 26 en l’honneur d’un joueur de hockey.

La poutine ne symbolise aucun enjeu particulier dans le roman. Elle sert d’envol à Fred Proulx de Rimouski, dégoûté par son travail dans une cantine. Il quitte donc son patelin pour aboutir en Colombie afin de donner un sens à sa vie. À 27 ans, il faut songer à son avenir. C’est un homme prisonnier de son adolescence qui croit que la vie de bohème lui révélera la route à suivre comme saint Paul sur le chemin de Damas.

Le héros me rappelle quelque peu celui de Sur la route de Jack Kirouac. Fred Proulx entreprend un long périple à travers la Colombie. De Bogota à Taganga via Medellin, il espère découvrir le viatique salvateur en fréquentant plus ou moins consciemment des milieux plutôt louches, où se tiennent les junkies et ceux qui détiennent un pouvoir sur le commerce des psychotropes. Cocktail explosif que de mixer drogue et alcool. Curieuse habitude pour un jeune souffrant de cataractes existentielles de suivre des sentiers de brouillard. Heureusement, la course au bonheur factice le rapproche de ses semblables. Leur exemple sonnera-elle peut-être la fin de la récréation ? Mais comme le chante Gilles Vigneault, « tout le monde est malheureux tout le temps. » Au moins si le paradis artificiel de Baudelaire rapprochait les jeunes de la création artistique !

Le héros vit son « quarter-life crisis ». Nombreux sont les auteurs de la trentaine qui décortiquent la crise de la vingtaine. Ils s’empressent de le faire avant de l’oublier. Le roman de Marie-Ève Gosemick aborde ce thème passablement élimé. Par contre, sa présentation efficiente de la Colombie aurait pu transcender un quotidien réduit à la consommation et aux activités touristiques. « L’insoutenable légèreté de l’être » qu’a décrite Milan Kundera abrutit, semble-t-il, le Y d’une génération née avec la technologie de masse. L’auteure québécoise en étale la preuve en se servant d’un langage réservé aux jeunes. Tout le lexique emprunté à l’espagnol, à l’anglais et au français joualisant alourdit la lecture d’autant plus que les dialogues sont souvent en espagnol. Ce réalisme linguistique risque d’en décourager plus d’un, sans compter l’aspect didactique de certains passages conçus pour relever le propos. Un roman n’est pas un essai.

Bref, l’auteure sert une aguardiente préparée dans un alambic très artisanal. Elle démontre tout de même avec ce roman un talent prometteur.