English
de Wang Gang

critiqué par SpaceCadet, le 28 novembre 2015
(Ici ou Là - - ans)


La note:  étoiles
Récit d'une adolescence au temps de la Révolution Culturelle
Ürümqi, capitale de la Région autonome Ouïghour du Xinjiang, années 1970. Fils unique d'un couple d'architectes originaires de Nanjing, Liu Ai est né dans ce bout du monde, cette cité provinciale où il n'a pas choisi de vivre et où il mène sa petite existence d'étudiant, épiant ses concitoyens, s'emmêlant les pinceaux et découvrant peu à peu les réalités du monde adulte où il s'apprête à faire ses premiers pas.

A l'image de la majorité de la population habitant Ürümqi (de même que le nord du Xinjiang), Liu Ai est Han, né de parents Han envoyés là-bas pour se réformer, et c'est sous cet angle, sous ce point de vue, qu'il observe le monde.

Wang Gang, écrivain et scénariste né en 1960 au Xinjiang, s'est inspiré de ses expériences et souvenirs pour composer ce roman. Pour ne pas répéter, pour ne pas dire ce qui a déjà été dit sur cette période de l'histoire de Chine, il a choisi de faire abstraction de la violence et de la cruauté qui ont marqué son adolescence. De la même façon, il met à l'écart l'ambiance des camps de rééducation, les misères infligées par les gardes rouges et tout le reste, pour nous offrir un récit où, sans être ignorée, la réalité sociopolitique n'est évoquée que de manière fortuite. C'est ainsi que mettant en avant l'universalité de l'expérience adolescente et nous incitant par voie d'identification à (re)vivre une époque de la vie que nous traversons tous, il nous permet éventuellement de mieux saisir l'impact qu'ait pu avoir le contexte de la Chine des années 1970 sur l'existence de ceux qui l'ont connu.

Nous découvrons un garçon curieux, en recherche de sa propre identité, qui tente de s'affirmer dans un monde dominé par le silence, la suspicion, le mensonge ainsi que par d'incompréhensibles interdits. Ami de toujours avec la petite Huang Xusheng, une jeune fille intelligente mais fragilisée par le contexte dans lequel elle grandit, énamouré de la belle Hajitaï, professeur de Ouïghour démise de ses fonctions dont la blondeur et le teint de porcelaine incarnent un idéal de beauté propre à alimenter bien des fantasmes, Liu Ai nourrit par ailleurs une admiration sans borne pour Wang Yajun, le jeune et élégant professeur d'anglais venu de Shanghai pour enseigner et transmettre sa passion pour cette langue et la culture qu'elle incarne.

Narré avec plusieurs années de recul, Liu Ai adopte un ton plutôt neutre pour nous raconter à la file les événements ayant marqué ces années sises entre l'enfance et l'entrée dans le monde adulte (douze à dix-sept ans).

Si les personnages sont plutôt bien campés, on ne peut cependant pas en dire autant du cadre qui est ici dépeint avec parcimonie. Ainsi, les descriptions sont si peu élaborées que l'on n'arrive pas très bien à visualiser les lieux. De la même façon, la particularité culturelle de cette région de Chine est peu évoquée; un seul personnage est issu de la minorité Ouïghour et seules quelques références culturelles apparaissent dans le roman. Mais cette manière de faire contribue très certainement à centrer notre attention sur les personnages et les événements marquant leur existence, renforçant ainsi l'angle psychosociologique adopté par l'auteur.

A sa sortie en Chine (2004), English a jouit d'une belle popularité et c'est sans doute dans cet esprit que les traducteurs et éditeurs1 ont privilégié la convivialité au détriment de l'authenticité et de la fidélité au texte d'origine, ce qui contribue vraisemblablement à une prose impersonnelle et tend à diluer la valeur littéraire du roman.

Drôle, tragique et divertissant, English trace avec doigté le parcours chaotique d'une adolescence troublée, un portrait qui, sans être à même de prétendre à une qualité littéraire équivalente, n'est pas sans rappeler le Huckleberry Finn évoqué vers la fin du roman.

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1. Ce compte rendu est basé sur la traduction anglaise du roman.