Trajectoires terminales
de Paul Borrelli

critiqué par Natalia Epstein, le 13 novembre 2015
( - 43 ans)


La note:  étoiles
Epoustouflant !
Troisième et dernier opus de la Trilogie Serge Lançon. Borrelli récidive et frappe très, très fort !

Marseille, années 2030. La ville s'est étalée, jusqu'à englober Toulon et Aix en Provence. Elle s'est également développée en profondeur. Les habitants des niveaux inférieurs sont les déclassés, les laissés pour compte. Le paysage est sinistre : tours en construction, immeubles promis à la démolition, béton, partout. La mer est morte. La plupart des espèces animales ont disparu, suite à un conflit majeur dont on ne saura rien.
Dans cet univers évolue Serge Lançon, l'homme qui fabrique des machines qui permettent de tuer les gens à distance. Enfin, il est devenu ce qu'il voulait, artiste peintre virtuel ! Il expose, même.

Oui mais voilà. On vient le trouver, en plein vernissage, pour lui demander son aide. La Police piétine, sur une affaire délicate...

Et c'est reparti. Borrelli, déchaîné, nous ébouriffe de trouvailles déjantés, descriptions hallucinées, embrouilles noires, personnages décalés et inquiétants, déphasages sensoriels, etc. Il nous bluffe avec une grandiose maestria. J'en suis époustouflée. Pourquoi donc ce sagouin a-t-il arrêté de se manifester ?

Dans les hauteurs, un détraqué s'amuse à bombarder l'autoroute, avec des fragments de statues en bronze. On dépêche l'inspecteur Canavese dans les milieux de l'art, où il s'amusera bien, et l'auteur avec, à mettre les pieds dans le plat. Pendant ce temps, Lançon décide de partir sur l'autoroute. Pulsion de mort latente ? Il n'a pour toute compagnie qu'une tête d'androïde, justement après qu'on l'ait attaqué... Et puis, plus tard, il rencontre Nadia, marginale qui, dit-elle, a "la rage", ce qui permet à Lançon de lui dire que la rage, ça ne s'écrit pas sur un T shirt, ça tord les tripes. Et ce roman a tordu les miennes.

Je ne dévoilerai pas la suite. Juste dire que Borrelli s'améliorait de roman en roman, il montrait incontestablement une maîtrise croissante, une maturité... Mais on ne sait pas ce qu'il est devenu.

L'enquête s'aventure du côté des milieux concernés par la pornographie. Elle nous permet d'assister à des scènes hallucinantes, comme par exemple ce moment où Lançon veut interroger une ex star, et qu'elle s'enfuit en robe de chambre, du papier toilettes à la main.

Lançon a un rapport curieux à autrui. Il joue au bon samaritain par moments. Il vit en colocation avec un ami d'enfance, devenu junkie, qui lui pose bien des problèmes. Il s'est mis en tête de faire soigner, puis d'adopter Marina, la seule rescapée de ces attaques sur l'autoroute, qui en est sortie sans l'usage de ses jambes. Mais à d'autres moments, il se montre particulièrement odieux avec les femmes. Comme si l'auteur avait voulu le salir, en cours de route, alors que c'est le héros, manifestement, de cette saga. Ni héros ni anti-héros, en fait. Il est... ailleurs, et imprévisible. Comme l'auteur.

Je suis resté scotchée par ce roman, qui témoigne d'une puissance descriptive et d'une intensité dramatique rares. Pour moi, incontestablement, Borrelli est un auteur majeur de ce siècle. Mais je crains qu'on ne l'oublie s'il ne se manifeste pas à nouveau. Seul son premier opus a été publié chez Folio Polar. Pour des raisons que je ne connais pas, les deux autres ne sont sortis que chez l'Atalante, éditions spécialisées plutôt dans l'Heroic Fantasy. Donc, auteur méconnu. Mais pourtant, quelle énergie, quelle conviction, quelle foi !

Du reste, l'auteur fait référence plus d'une fois au groupe Français Magma, et effectivement, quand on connaît l'un et l'autre...

Des heures de passionnante lecture, en tous cas. Et un roman qu'on éprouve le besoin, irrésistiblement, de le relire. Je ne compte plus les fois où je me suis replongée dans l'univers de cet auteur. A ne pas rater !