L'ombre du chat
de Paul Borrelli

critiqué par Eric Eliès, le 16 avril 2017
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Pour les amateurs de polar non réfractaires à la SF
En 2032, dans la mégalopole marseillaise transformée en cité stratifiée sur une quinzaine de niveaux, un tueur en série insaisissable affole la police par ses crimes atroces violemment ritualisés. L'ambiance est lugubre : après un grand conflit mondial (à peine évoqué), les villes sont devenues un entrelacs de ruelles glauques et d'étages souterrains où s'entasse une population désespérée qui trouve refuge dans les drogues et les machines à illusions. Sans compter les sectes... Malgré cet enrobage SF, qui peut faire songer à la fois à JG Ballard et Philip K Dick, le roman est très proche d'un polar "série noire" très classique et s'intéresse avant tout aux progrès de l'enquête sur les traces du tueur. L'auteur esquisse quelques fausses pistes, selon un mécanisme narratif bien rodé qui a déjà fait ses preuves : la police traque un coupable évident qui se met alors sur la piste du "vrai" tueur afin de pouvoir s'innocenter et, en même temps, sauver sa peau car le tueur le recherche également... Toute la tension du récit repose sur une interrogation (un peu futile pour moi qui ne suis pas amateur de polar) : qui ira le plus vite ?

En fait, la ville n'est ici qu'un décor, à peine oppressant car l'auteur peine à installer une atmosphère. Paul Borrelli a visiblement passé beaucoup de temps à se documenter sur les méthodes d'enquête policière et sur les pulsions des tueurs psychopathes et il s'attache, beaucoup trop à mon goût, aux péripéties des enquêtes parallèles menées par les divers personnages. Son écriture très descriptive reste à la surface des évènements et se contente, comme dans un téléfilm, d'enchaîner les scènes d'action et les dialogues... C'est dommage car le contexte se prêtait bien (comme chez JG Ballard dans IGH) à la mise en perspective cauchemardesque d'un futur proche, à la fois quotidien dans ses préoccupations sordides et lointain dans ses ouvertures sur les profondeurs de l'espace et de la psyché humaine. Mais Paul Borelli ne décolle pas du terre-à-terre et on a l'impression que la SF n'est qu'un artifice d'écriture pour s'autoriser quelques facilités narratives ou un exotisme de pacotille. Alors que la guerre a ravagé le monde et que l'homme a rencontré une vie extra-terrestre (on y croise deux créatures : un protoplasme psychique qui peut parasiter le cerveau et une tortue carnivore d'Aldébaran), l'auteur se focalise sur la vie d'un service judiciaire, avec ses bons flics obstinés et ses flics ripoux, comme si c'était le cœur de l'univers et nous inflige une longue litanie de procédures et de faits divers... L'ambiance pourrait être proche de celle des romans de Maurice G Dantec, qui mélange policier et SF métaphysique, mais l'écriture de Paul Borrelli n'en a pas le souffle de folie hallucinée (je pense par exemple au tueur en série de la 1ère partie de Villa Vortex). Comme tout l'intérêt du récit repose sur le suspense de l'enquête, je m'abstiendrai de l'évoquer mais le final (qui n'est - comme dans une classique série noire ! - que l'aboutissement d'une traque permettant le dévoilement de l'identité du tueur) présente heureusement une petite ouverture, qui m'a fait un peu songer à "L'homme démoli" d'Alfred Bester que j'ai lu il y a longtemps... Cette ouverture est aussi l'annonce de nouvelles enquêtes à venir !

Par ailleurs, comme j'ai très longtemps vécu à Toulon où se déroule en partie le récit, j'ai été déçu de la faiblesse d'évocation de l'auteur, qui est trop platement factuel. Plutôt que de chercher à être précis dans la retranscription des dialogues ou les déambulations de ses personnages en multipliant les adresses et les noms de rues (ce dont, au fond, on se fiche), j'aurais préféré qu'il décrive le mont Faron pelé par les pluies acides ou l'arsenal militaire à l'abandon ! Et les personnages oscillent de Marseille à Toulon comme s'il n'y avait jamais rien eu entre ces villes : j'aurais aimé qu'il évoque, même brièvement, les calanques ou La Ciotat transformées en banlieues bétonnées (ou rayées de la carte) plutôt que simplement la litanie fastidieuse des passages du niveau -15 à la surface sans qu'on éprouve le sentiment d'une densité qui donnerait consistance à l'univers où évoluent les différents personnages...