La racine de l'Ombù
de Alberto Cedrón, Julio Cortázar

critiqué par Pucksimberg, le 10 novembre 2015
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Le mariage magnifique de deux artistes remarquables
Alberto Cedron, peintre majeur argentin, a confié certains de ses dessins au grand Julio Cortazar afin qu'il rédige le texte qui pourrait les accompagner. De là est née cette collaboration de qualité. Il aura fallu attendre de nombreuses années avant que cette oeuvre soit éditée. Elle a même été censurée dans son pays. Ce point n'est pas totalement surprenant puisque de manière allégorique et radicale sont dépeintes les années de dictature qui ont ensanglanté le pays et assujetti le peuple. Les Hommes-larves, créatures monstrueuses aussi bien physiquement que moralement, espionnent les Argentins et les effraient. Dans ce roman graphique qui se rapproche de l'oeuvre d'art, l'on suit Alberto, prénom du personnage principal et du peintre dont on découvre les dessins grâce à cette bande dessinée. En évoquant sa jeunesse et sa famille, c'est le destin des Argentins qui devient le fil conducteur de cette histoire.

Les dessins sont surprenants, originaux, effrayants parfois. L'on se laisse porter par la force de ces images aux allures cauchemardesques. Plusieurs techniques sont mélangées. On a du dessin, des montages étranges, le plan d'une maison ... L'imaginaire du lecteur est complètement stimulé par cette oeuvre et l'on se plaît à voir comment Julio Cortazar a donné sens à ces dessins tout en respectant les intentions du dessinateur et en s'intéressant au processus de création qui a donné naissance à cette oeuvre picturale déconcertante. Le texte est forcément beau, ciselé, c'est du Cortazar et je découvre qu'il s'était essayé à la forme du roman graphique. En même temps, cela n'est pas totalement étonnant pour un homme qui a toujours voulu innover avec la forme.

J'ai été totalement séduit par cette oeuvre et porté par le rythme choisi par les deux artistes. Cette oeuvre va au-delà du simple dialogue avec notre raison, elle a une résonance dans notre inconscient. Elle possède une intensité qui doit parler la même langue que celle des Argentins, qui ont connu ces décennies et qui retrouveront dans ce texte un ressenti, partagé par le plus grand nombre.