Oeuvres romanesques complètes/Dialogues des carmélites (Tome 1) de Georges Bernanos

Oeuvres romanesques complètes/Dialogues des carmélites (Tome 1) de Georges Bernanos

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par AmauryWatremez, le 1 novembre 2015 (Evreux, Inscrit le 3 novembre 2011, 54 ans)
La note : 9 étoiles
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La Foi et le Scandale du Mal – l'Oeuvre romanesque de Bernanos

Les sept romans de Georges Bernanos sont donc édités en Pléiade chez Gallimard

L'on ne peut comprendre l'oeuvre de Bernanos, cet angoissé joyeux, sans comprendre ce qu'est la Foi et le scandale qu'est le Mal dans notre monde. A notre époque matérialiste, ne comprenant que le quantifiable, le mesurable en espèces sonnantes et trébuchantes, le prouvable devant témoins, la Foi est strictement incompréhensible. Elle est le plus souvent réduite soit à un ésotérisme de pacotille soit à un besoin de se sentir bien pour soi. Il est de bon ton également de réduire le « grand d'Espagne » à un catholique qui aurait rejoint le « camp du Bien » en prenant position contre le franquisme en particulier et tous les fascismes en général. Les promoteurs de cette vision oublient manifestement que « les Grands Cimetières » sont dédiés à Edouard Drumont, grande figure scandaleuse. Ils omettent cette épisode advenu en 48 quelques temps avant la mort de l'écrivain lorsqu'un journaliste américain lui demandant s'il était dans le camp des démocrates se fit copieusement engueuler. Il ne serait également qu'un auteur de livres mettant surtout en scène des curés et des religieuses, un romancier catholique ayant le cœur un peu plus sombre que François Mauriac ou Guy de Larigaudie.

Les romans de cet auteur dont je me sens si proche sont essentiellement des livres de Foi. Ce n'est pas l'eau tiède déversée par tonneaux entiers des nouvelles communautés, de trop nombreuses paroisses, ou le sirop un peu trop sucré des livres de « directeurs spirituels » médiatiques. Ce n'est pas non plus la foi bourgeoise, la foi des privilégiés ne voulant que préserver leur mode de vie par eux considéré si précieux. La Foi de Bernanos est un feu brûlant, elle apporte le glaive, elle n'est pas de pur spirituel complètement désincarnée. Elle encourage à la radicalité évangélique, à laisser de côté les bons sentiments, les grandes et belles déclarations ronflantes. Ce n'est pas facile mais c'est là où se niche la Sainteté, telle celle de Blanche de la Force, jeune novice des carmélites finissant par monter à l'échafaud avec ses sœurs alors qu'elle aurait pu espérer survivre.

La Foi de Bernanos est au pied de la Croix, en direction du supplicié atroce cloué sur le bois épais, supplicié bien oublié par les croyants modernes en faisant une figure de vitrail aux bonnes joues rouges. La Croix domine un monde corrompu par le Scandale du Mal. Rien n'y a plus vraiment de sens, la vie apparaît comme de plus en plus absurde menée par l'avidité, dans une nuit de plus en plus profonde. Au cœur de cette obscurité demeure ce qui nous sauve, l'Espérance. Ce n'est pas l'espérance simplement humaine, à courte vue, ressemblant plus à l'illusion, l'illusoire, le virtuel il est vrai de plus en plus pregnant. Ce supplicié horriblement défiguré, souffrant de tous les péchés de l'Humanité, est aussi la victoire définitive du Bien sur le Mal, contre toute apparence, victoire couronnée par la Lumière de la Résurrection.

La mort du Christ sur la Croix est en effet plutôt un symbole d'échec complet en apparence, tout comme la courte existence du petit curé d'Ambricourt. Personne ne vient à sa messe, excepté deux vieilles bigotes et il meurt seul, mais il meurt en comprenant ainsi que le disait sainte Thérèse de Lisieux que « Tout est Grâce ». Bernanos parle aussi des prêtres mondains, des ecclésiastiques clinquants ayant du succès en société, de leur imposture. Celle-ci ne se fonde pas toujours sur des mauvaises intentions, parfois ils sont sincèrement convaincus du bien-fondé de leurs compromis. Dans « Sous la Soleil de Satan », il montre deux visages de personnes tendant à la Sainteté: l'abbé Donissan et Mouchette. Donissan fait littéralement des miracles, mais il n'a plus aucun amour dans le cœur, Mouchette est une jeune femme scandaleuse mais elle est plus proche de la Sainteté que le prêtre. Dans ce livre le diable est un maquignon rusé faisant des affaires juteuses avec les hommes et le mal se fait sous un soleil éclatant, en pleine lumière.

Les figures de prêtres selon le monde qu'il décrit dans « la Joie » ou « l'Imposture » ont fait dire à des exégètes de son œuvre, un peu des marionnettistes doués pour faire parler les morts, qu'il était donc anticlérical. C'est un parfait contresens. Bernanos sait bien que l'Eglise catholique n'est pas une église de « parfaits » mais de pécheurs, de pauvres types que nous sommes tous à l'occasion, y compris ces prêtres. Les travers humains dans l'Eglise, sa faiblesse, les scandales la traversant, son apostasie toute proche parfois prennent du sens lorsque l'on se rappelle le sens de l'Incarnation du Sauveur, un dieu devenant une créature toute d'imperfections. Le Saint Sépulcre à Jérusalem est la parfaite illustration de ce que j'avance, un agrégat de diverses églises parfois antagonistes, des vieilles folles enserrant follement les piliers, des pèlerins visitant le tombeau comme « Space Mountain » à Disneyland (TM°), des paroissiens incapables de simplement saluer leur voisin de chaises, et pourtant cette humanité faible, cette humanité tellement pauvre c'est ce qui fait aussi notre grandeur, notre force.

« Monsieur Ouine » et « un mauvais rêve » sont des romans sur le Mal à l'oeuvre dans ce monde, dans cette société devenue une « société de robots » où seuls le profit et la consommation des biens et des êtres compte, une consommation sans consumation, sans vertiges des sens. Monsieur Ouine est morne, il est sans empathie, le monde autour de lui l’indiffère à moins d'y gagner quelque chose. Il ne perçoit que le néant, les faiblesses de ceux qui l'entourent, les exploitant sans aucuns scrupules ni remords. Il retourne au néant en mourant après avoir souillé l'âme d'un jeune homme au cœur pur. « Un mauvais rêve » était censé être un roman policier, un peu à la manière de Simenon, afin de permettre à la famille Bernanos d'être matériellement plus aisée. Bien entendu, il écrivit beaucoup plus qu'un simple roman de gare, comme Simenon d'ailleurs. « Un mauvais rêve » est une descente aux enfers lente, elle ne finit pas, elle s'apparente à celle de ces individus pris dans la nasse du grand cirque consumériste.

Deux anecdotes montrent le sens profondément moral de la conception par Bernanos de sa Foi, son désir d'intégrité absolu dans tous les instants de sa vie et son absence totale d'intérêt pour les hochets sociaux dont d'autres se seraient contentés sans plus de questions. Partant de France vers le Brésil, il oublia avec sa femme dans le taxi les amenant au paquebot les papiers leur permettant de vivre si loin de leur pays, ce pays qu'il aimait tant. Ils ne les récupérèrent que « in extremis ». A la fin de son séjour brésilien, à « la Croix des âmes », le nouveau propriétaire ayant découvert du pétrole sous le domaine avertit Bernanos par honnêteté, celui-ci refusant tout net cette fortune matérielle tombant du ciel. Ses livres brûlent encore de rage contre le mal, contre ce qui est fait aux petits, aux faibles, aux « moutons noirs ». Ils brûlent de sa Foi en un dieu qui aime les êtres humains, ses créatures tellement faibles, tellement débiles malgré tout, un amour incompréhensible au sens strictement humain du terme. La Foi de Bernanos n'a rien à voir avec de quelconques bondieuseries « saint-sulpiciennes » ou pas, de belles paroles sitôt oubliées une fois sorti de l'église. Ses romans n'ont rien perdu de leur force d'écriture et d'esprit.

Alors oui, relisons le encore une fois...

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