Mes amis : Suivi de Un autre ami
de Emmanuel Bove, François Ayroles (Dessin)

critiqué par Falgo, le 1 novembre 2015
(Lentilly - 84 ans)


La note:  étoiles
Scruter la solitude
Henry Purcell, le compositeur anglais, a écrit une musique sur un poème de Katherine Philips datant de 1667, à la gloire de la solitude choisie, tous deux exaltés par le chant d'Alfred Deller dans un disque célèbre. Et c'est le contre-pied complet de cette glorification qu'accomplit Emmanuel Bove dans "Mes Amis", mettant en évidence le désespoir de l'homme qui vit une solitude subie. Mais la situation est un peu plus compliquée que cela. Ce premier roman, publié en 1924, met en scène Victor Bâton, pensionné démobilisé de la guerre de 1914-18. Victor ne travaille pas, se satisfait de sa petite pension et de son logement minable. Il se promène dans Paris, y fait des rencontres d'hommes et de femmes, croyant à chaque fois rencontrer amitié ou affection, s'essaie à la générosité et conclut régulièrement "qu'il était peu préparé à lui parler". Bove dresse ainsi le portrait d'un velléitaire, mu par ses intentions mais n'arrivant pas à les concrétiser, s'approchant de son objectif pour s'en détourner au moment d'aller plus loin et s'enfermer plus avant dans une solitude qui le désespère cependant et une étrange douleur d'exister.
Dans un style simple, fait de phrases courtes et d'un vocabulaire minimal, déjà loué sur ce site, Bove écrit un chef d'oeuvre de précision, de désenchantement et d'essais ratés dépeints dans un série de chapitres courts, chacun correspondant à une rencontre. Léon Bloy disait, je crois,: "La grande misère des pauvres est que personne ne leur offre son amitié". Bove montre que cette misère est aussi faite du refus des autres d'accepter leur amitié. Fulgurant et glacé.
Densité et ironie 9 étoiles

A mi-chemin entre le « Plume » de Michaux et Monsieur Hulot, Victor Bâton, profond inadapté social, ou selon le point de vue, suradapté aux conventions sociales, vit dans le souci d’occuper sur terre la plus petite place possible. Cependant, ce modeste a une petite faiblesse qui le perdra : la gent féminine.

Il a en effet l’audace des timides, et, face à tout ce qui porte jupon, un aveuglement qui plusieurs fois ruinera ses belles espérances de réussite sociale.

Texte que j’ai découvert magistralement lu en public par François Morel lors de l’Intime Festival organisé par Benoit Poelvoorde à Namur. Morel excelle à rendre la désespérante tendresse avec laquelle Bove traite son personnage.

Alceste - Liège - 62 ans - 10 novembre 2015