Eva
de Simon Liberati

critiqué par AmauryWatremez, le 6 octobre 2015
(Evreux - 54 ans)


La note:  étoiles
Amour fou amour monstre
J'avais beaucoup aimé « Jayne Mansfield 1967 » de Simon Liberati, j'avais été pris en traître. Je ne m'attendais à dévorer littéralement un roman français écrit par un digne représentant, le croyais-je à l'époque, du petit milieu germanopratin. Cet écrivain est bien plus que cela. J'ai découvert un frère en errances, et pas seulement littéraires, un type un peu perdu, spécialiste du « travail du négatif » et de l'autodestruction. Liberati et Eva Ionesco se sont rencontrés, et aimés, au mitan de leur vie, elle a la cinquantaine, et lui l'a dépassée depuis quelques années déjà. Ils étaient à l'âge où l'on n'espère plus vivre un grand amour, un amour fou, en filigranes dans ce livre. Lui déménageait tous les six mois, essayant sans y arriver de trouver le succès, elle se remettait des traumatismes vécus dans son enfance, de la drogue, des excès de la vie parisienne des années 80 et 90 dont elle était une icône s'étourdissant de cette danse au-dessus du volcan de ces années là.

Ils avaient déjà vécu. On peut moraliser, on peut sermonner, déplorer une telle inconscience mais au fond derrière tout cela on trouve des attentes presque mystiques et une recherche spirituelle plus féconde que celle de bien des paroissiens comme il faut. Ils ont une étincelle, on la chercherait vainement chez tous ces bons apôtres croyants ou non dont l'angoisse principale est de réduire la joie éprouvée par ces êtres hors normes encore capables de sentiments vrais et élevés. Ce sont des hommes et des femmes cabossés, abîmés, cinglés aux yeux des « bonnes gens qui n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux ».

Ce livre a un peu gêné dans le Landerneau parisien kulturel, car en mettant en lumière son abjection tranquille mais ce n'est pas là son seul intérêt. Les livres français évoquant une autre figure que la personne de l'auteur, ceux portant comme titre un prénom, sont extrêmement rares. Ceux parlant d'amour fou et le faisant avec talent encore plus. Choisissant la solution de facilité, le critique exécutant une recension de ce livre de Simon Liberati tapera « amour fou, littérature » sur « Gougueule » et se contentera des résultats dénichés. Il se référencera à « Nadia » qu'il n'a pas lu, de Breton, entre autres souvenirs littéraires. Les liens de l'auteur avec Gérard de Nerval lui échapperont, Nerval c'est trop vieux, trop poussiéreux. Et il mettra « Eva » bien en évidence sur sa table basse de salon à cause de l'aura sulfureuse du sujet de cet ouvrage, Eva Ionesco, photographiée enfant par sa mère Irina Ionesco dans des poses des plus lascives, érotiques, tirages très à la mode dans les milieux « qui pensent » du Paris mondain. Irina détruisit plus ou moins sa fille qui, personnalité forte, s'est depuis reconstruit, gardant en elle beaucoup de rage.

Qui n'a pas ressenti, vécu un amour fou aura du mal à comprendre ce livre comme il aura beaucoup de difficultés à s'émouvoir en parcourant « Belle du Seigneur », « l'Education Sentimentale » ou « Sylvie ». L'amour fou, déraisonnable ressemble à l'amour divin d'ailleurs pour un croyant est une folie aux yeux des hommes. L'amour fou transgresse tout ; la morale commune, les lieux communs, les préjugés, les compromis sociaux. Bien entendu, il ne vaut mieux pas avoir d'enfants si l'on vit une de ces passions. Ceux-ci finiront comme le petit garçon et la petite fille de « le Tour d'écrou » de Henry James, magnifiquement adapté par Truman Capote dans le film de Jack Clayton. Ils seront prisonniers des sentiments des grandes personnes qui ne verront pas les dégâts « collatéraux ». Se souvenant de ce que la mère de l'auteur de « de Sang froid » lui a fait vivre l'on comprend ce qui a pu l'attirer à écrire ce scénario.

Sans doute que Irina Ionesco était-elle animée d'une telle passion envers Eva, un amour vraiment « monstre ».

L'amour fou ne s'oublie jamais, et on ne le retrouve plus après l'avoir perdu. Il est très différent de la conception du couple et de la sexualité prévalant actuellement dans notre société dite moderne. Bien souvent, je n'ai pas dit à chaque fois, c'est un échange de bons procédés fondés sur des leurres de l'un sur l'autre, l'apparence étant le plus importante, et le reflet de soi-même que l'un voit en l'autre, en son « compagnon », en sa « compagne ». Après une amourette adolescente, l'on vit « à la colle », voire on fait des gosses, et de temps en temps afin d'entretenir l'illusion que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, on fait l'amour par hygiène en somme pour se persuader que l'on vit encore un petit peu. Quand ils ont les moyens les couples s'offrent la ménopause et, ou l'andropause passées, une grosse voiture pour se consoler, des vacances aux Bahamas ou un-e amant-e dont le rôle se réduira à celui d'un « sextoy ». Ou alors il y a les « boîtes à Q », elles ont l'avantage de pouvoir se défouler en conservant cet « entre soi » si précieux dans les « bonnes » familles...

J'ai de la tendresse pour ce livre me parlant car des « Eva » j'en ai connu et aimé quelques unes, quelques visions maintenant « dans l'eau de Seltz »...