Monsieur l'aumônier : Témoignage d'un aumônier de prison
de Olivier Hanne

critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 2 octobre 2015
(Ottignies - 88 ans)


La note:  étoiles
Dieu est miséricorde
Olivier Hanne est un bénévole, laïc, qui donne aux autres ce qu'il a de meilleur : son temps. Il est le « Monsieur l'Aumônier » de la prison, qui frappe aux portes des cellules et pose la question : « voulez vous la visite de l'Aumônier ? ». Dans leur grosse majorité les détenus acceptent et lui racontent leur histoire, lui livrent leurs confidences, leur revendication, parfois leur regret. Son livre est un témoignage basé sur ces visites.

Je m'attendais à un recueil de clichés, un peu gnan-gnan, un peu moralisant, mais pas du tout ! C'est un recueil de « tranches de vie » qui racontent cette société marginale à qui on n'a pas appris à vivre et, entre les lignes, apparaissent toutes les misères du monde.

L'auteur raconte « ce qu'il a vu et entendu dans les cellules et les couloirs », le plus souvent sous forme de dialogue, avec des mots simples qui conviennent parfaitement au récit, et lui donnent un ton d’authenticité. Le narrateur y ajoute des réflexions personnelles, parfois avec un brin d'humour, souvent avec une part de spiritualité, et toujours avec une justesse de jugement qu'on voudrait qualifier d'infaillible.

Il raconte aussi les relations des prisonniers entre eux : par exemple ce vieil habitué des prisons qui fait la leçon aux jeunes voleurs qui cochonnent le travail et lui font une concurrence déloyale : « si vous ne savez pas voler, leur dit-il, allez travailler ! ». Ou bien ce financier, condamné pour escroquerie et détournement de biens sociaux qui proclame, sans regret : « j'ai joué, j'ai perdu mais ma place n'est pas ici, je n'ai tué personne et je n'ai rien à voir avec vous ».
Ou bien encore ce jeune marié qui proclame son innocence : il voulait tirer à côté de sa femme mais elle a bougé... c'est de sa faute !
L'aumônier nous explique encore, dans un chapitre particulier, que les violeurs et surtout les pédophiles, sincèrement ou non, ne reconnaissent pratiquement jamais leurs fautes. Les autres détenus les persécutent et il arrive parfois qu'ils se suicident ; comme quoi le sens de la justice et du châtiment existe aussi, à sa manière, dans les prisons.

Mais Monsieur l'Aumônier n'est pas un auxiliaire de l'Assistante Sociale. Son but est d'aider les détenus en leur apportant les secours de la religion : « l'annonce de l’Évangile, nous dit-il, doit susciter l'espérance du pardon et le désir d'une réconciliation avec Dieu, avec soi-même et avec le monde ». Et il sait montrer au coupable que ce chemin est long et difficile : le pardon, il faut le mériter ; et les moyens de l'aumônier sont limités : « il n'a que la Parole de Dieu et sa confiance dans la Communion des Saints qui intercèdent pour nous, pauvres de nous ».
Il détaille alors, avec un certain humour, toutes les entourloupes dont sont capables certains détenus pour se faire passer pour de bons apôtres et obtenir des réductions de peine.

Ce mélange de gravité et d'anecdotes un peu farfelues font tout le charme du livre. Mais quand on lit ce livre avec un peu de concentration, il arrive qu'on se retrouve dans une cellule avec le détenu et l'Aumônier ; on écoute leur dialogue, les confidences et parfois la vie du détenu, son immense détresse, et quand en fin de séance, le détenu implore humblement : « Monsieur l'Aumônier, récitons ensemble le Notre Père », je vous assure qu'on a les larmes aux yeux... Comme le dit l'Aumônier, Dieu est miséricorde.

Quand l'auteur se penche sur les circonstances atténuantes de bien des crimes, il constate que les grands malheurs s'inscrivent le plus souvent dans la figure paternelle. Tant de pères qui briment leurs enfants, qui les battent, qui les violent, qui marient leurs filles contre leur gré, ou les livrent pour de l'argent... « Tant de pères indignes, eux-mêmes brisés par un père indigne, et ceci depuis Adam ». C'est peut-être pour ça que la foi chrétienne adore Dieu comme un Père, nous dit l'Aumônier, afin de racheter tant de pères indignes. Mais alors il s'écrie : « Seigneur Jésus, quand viendras-tu libérer ces hommes ? » Et on se dit que, quand on est sur le terrain, il faut s'accrocher pour garder la foi.

Et ceci amène l'auteur à parler du pardon dans un chapitre absolument remarquable, qui aide à comprendre ce qu'est le sacrement de Réconciliation proposé par l’Église. L'auteur montre le chemin que doit parcourir le coupable, devant Dieu et devant les hommes : il faut un regret sincère de la faute, une demande de pardon, une acceptation de la peine qui doit être consentie en pensant aux victimes et il faut, de plus, une réconciliation avec le monde, ce qui n'est pas toujours donné.

L'auteur nous parle encore, avec une pointe d'humour, de ce que représentent pour les détenus, la messe, les fêtes de Noël et de Pâques, Dieu et la sainte Trinité... et on s’aperçoit que ce n'est pas très différent de ce qu'en pensent les gens qui n'ont rien appris de la religion.

Puis vient alors un chapitre sur la Vierge Marie d'une beauté surprenante ; ce sont des témoignages de terrain comme on en voit peu. Même en prison, on ne peut pas rire de tout, nous dit l'auteur. On ne se moque pas de la Vierge Marie, on ne se permet pas de plaisanterie graveleuse sur sa virginité. La Vierge est sacrée. Pour les prisonniers elle n'est pas, comme ironisent souvent les non-croyants, une déesse pour les cathos. Elle est la mère qu'ils n'ont pas eue, ou qui est partie trop tôt. Elle est souvent la seule femme qui les aime. Et quand l'Aumônier, sans se faire trop d'illusions sur la nature de sa foi, offre au détenu un chapelet, il se le met autour du cou...

Gageons que ce livre ne sera pas le mieux vendu de la rentrée. Et pourtant c'est un livre qui tranche sur le commun. Il est écrit par un homme de terrain, doublé d'un excellent écrivain. C'est un condensé de « vécu » et de très haute spiritualité mais, une spiritualité qui n'est pas celle des philosophes de salon, des penseurs en chambre et des théologiens. Ce livre suscite une méditation sur le Bien et le Mal, la justice des hommes et la justice de Dieu, la victime et le coupable, l'expiation et le pardon.
Mon avis est que cette lecture restera gravée dans les cœurs pour longtemps.