Mariana, Portugaise
de Guy Goffette

critiqué par Eric Eliès, le 27 septembre 2015
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Eloge de la passion et de la ferveur amoureuse
Ce court recueil de prose poétique est constitué de quatre lettres dédiées à la religieuse portugaise, qui rendent un hommage, aussi ardent que son sujet, à l’amour fou, au désir charnel et à la passion délirante, qui submergent la raison et les conventions. Cette nonne, qui fut séduite puis abandonnée par un noble français venu au Portugal pour soutenir les Portugais dans la guerre d’indépendance, incarne l’embrasement du cœur et des sens dont le feu s’attise dans l’espace confiné du cloître… Guy Goffette célèbre la passion de Mariana (appelée par son prénom comme il le ferait envers une confidente) et déclare se moquer de savoir si les célèbres lettres sont authentiquement de la main de la nonne ou s’il s’agit d’une supercherie littéraire.

Avec des images puissantes enchâssées dans une écriture aux phrases haletantes et fortement teintées de sensualité (voire d’érotisme), Guy Goffette fait l’éloge de l’amour total, intensément éprouvé au plus profond de l’être et jamais renié malgré la douleur de la trahison, et qui ne trouve exutoire et appui que dans l’écriture, qui ressuscite l’instant vécu et en entretient l’écho pour conjurer la mort omniprésente dans la vie monacale… Le recueil de Guy Goffette est aussi un hommage aux pouvoirs de l’écriture.

La pointe de la plume grattant le tympan de papier. Chaque lettre affermissant la coque de l’aube. Réveillant un jardin d’ombres, des pas sur le gravier de quelle allée. Le cœur tout d’un coup perdant pied. Quel rétablissement trouver sous l’afflux des images ? Quel appui sur le carreau nu, l’absence ? D’autre saillie que ce bec de plume pour oublier le triple chant du coq, la trahison de l’amant ? Ecrire. Ecrire comme on arrache la bonde ; comme on sonne les cloches […] Voici la proie voici l’agneau : Soror Mariana, vierge et rose et si seule en sa chair avant qu’amour de perdition l’empourpre, Mariana d’Amor blanche devenue et martyre à présent sur le bûcher de sa table, le tison porté aux quatre veines et le cœur à jamais ivre comme tambour livré nu aux mains déchaînées de la pluie.


La ferveur enfiévrée de l’écriture de Guy Goffette, clairement fasciné par cette femme qui s’avoue dans ses lettres consumée d’une passion inassouvie et brave les interdits de son époque, m’a fait songer aux aquarelles que Manara a peintes, dans le cadre d’un portfolio publié il y a une quinzaine d’années, pour illustrer quelques passages des lettres de la religieuse portugaise. On y retrouve cette même volonté, qui anime Guy Goffette, de sublimer la transgression des vœux religieux et de transfigurer une vie recluse par le feu d’une passion charnelle. Il est dommage que « Le temps qu’il fait » (dont j’admire par ailleurs le courage et la cohérence éditoriale) ne songe pas à une réédition accompagnée de ces illustrations.

La dalle glacée de sa cellule. Ce grand corps blanc de femme, écartelé à même le sol, près des vêtements en désordre, comme arrachés. Ce corps prêt à l’estrapade ou qui en revient. Cette nudité de la chair sur la dalle noire et glacée. Plus qu’offerte : étale. Plus que vive : ouverte. En croix sur le carreau, l’amant enfui (la croisée est au large). La bouche collée à la pierre. Ce baiser à la mort qui roucoule dans la rosée.