Solitude ma mère de Marguerite Taos Amrouche

Solitude ma mère de Marguerite Taos Amrouche

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 15 septembre 2015 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 8 étoiles
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Vaines amours

La quarantaine atteinte après des aventures sentimentales toutes aussi décevantes que vaines,Taos Amrouche confie dans ses pages, les histoires d’amour impossibles, mal partagées, tragiques, pathétiques, lamentables, toutes mal terminées dans la douleur et la souffrance de la pauvre Aména que les hommes ne savent pas aimer ou, peut-être, est-ce elle qui n’aime que les hommes qui ne la méritent pas ? Elle semble réellement douée pour attirer les hommes qui ne sauront pas la rendre heureuse, qui ne lui feront finalement que du mal, elle ne sait pas retenir ceux qui pourraient la rendre heureuse, mais cela est-il possible tant elle semble peu apte au bonheur et à la quiétude qu’elle appelle de tous ses sens ?

L’histoire d’Aména commence à Ténarès «Rue des Tambourins », près de Tunis où finit celle de Kouka, Marie Corail, autres pseudonymes qui dissimulent tout aussi mal la véritable Taos Amrouche, et se termine où commence « L’amant imaginaire » , l’histoire de l’amour impossible entre Aména et un grand écrivain français jamais cité dans le texte mais que désormais tout le monde reconnait en la personne de Jean Giono.

Taos écrit ce livre comme si elle devait dresser, à travers les aventures malheureuses d’Aména, son propre testament amoureux, son bilan sentimental, affectif et charnel au mitan de sa vie d’adulte. Elle évoque pour Aména, comme pour Kouka dans « rue des Tambourins », l’écartèlement entre ses deux cultures, l’enfermement dans une éducation trop restrictive, castratrice, et comme elle le fera encore pour Aména dans « L’amant imaginaire », l’humiliation par le manque d’empressement des hommes qui n’ont jamais su satisfaire les attentes de son cœur et de son corps. Elle décrit ce qu’elle considère comme son malheur, la grande douleur de toute sa vie, et ses autres échecs sentimentaux sans fausse pudeur aucune mais avec une grande sensibilité et une grande finesse. La qualité de sa prose, dense, charnue mais toujours très fluide, pleine des odeurs et des saveurs de l’Afrique du Nord, proche encore des classiques du début du siècle mais déjà libérée de la lourdeur de la gangue qui empesait certains d’entre eux. Ces écrits se lisent comme on déguste un fruit mûr et sucré, avec plaisir et sans jamais se rendre compte qu’on en a déjà consommé une belle quantité.

Elle énumère tous les hommes qui l’ont fait vibrer et qui, in fine, l’ont trahie, abandonnée, lâchée, la laissant seule et sans ressource dans la grande ville où elle n’avait plus comme porte de sortie, comme bouée de sauvetage, que l’écriture, l’écriture de ses malheurs qu’elle attribuait à Aména, des amours toujours déçues depuis le premier, celui qui la fit femme dans la douleur pour l’attacher alors qu’elle avait rompu les fiançailles. Viendront ensuite d’autres amis, amoureux, amants mais tous finiront par la laisser seule face à son destin et à ses angoisses, parfois sans logement, obligée de se réfugier dans la famille, chez des amis, ou encore dans une pension austère qu’elle décrira dans « Jacinthe noire ».

J’étais ressorti de la lecture de « L’amant imaginaire » avec un certain agacement, je ne comprenais pas comment cette femme si talentueuse avait pu être bafouée de la sorte et comment elle semblait se complaire dans ces situations misérables. J’avais alors écrit : « Des pages difficiles à accepter qui donnent envie de secouer cette femme qui semble se complaire dans son malheur, de balancer un grand coup de pied aux fesses de ces hommes qui n’ont pas su et ne savent pas, au moment où ces pages sont écrites, aimer cette femme comme elle le mérite et malgré tout cela un grand moment de bonheur, un grand moment de lecture, si Aména se lamente, Taos écrit son malheur merveilleusement, ses maîtres n’ont pas prêché en vain, Gide, Giono, Camus ont reconnu ce talent, ce bijou, ils l’ont poli et c’est d’abord ce que je conserverai de cette lecture. » Après lecture de ce dernier volet de la tétralogie d’inspiration biographique de Taos Amrouche - j’ai lu ses ouvrages dans le désordre donc « Solitude ma mère » n’est le dernier opus que pour moi – je ne retirerai rien et n’ajouterai rien à ce que j’avais alors écrit. Je déplorerai tout simplement que cette grande dame des lettres algériennes ne soit pas encore reconnue, dans son pays, à la mesure de son talent, elle y est à peine tolérée, les hommes ne l’aimeront donc jamais… quant aux femmes qu’elle a tellement défendues, elles n’ont même le droit de se prononcer sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres.

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