Les Carcasses de Raymond Federman

Les Carcasses de Raymond Federman

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Stavroguine, le 12 septembre 2015 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 8 étoiles
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Transmutations

Hier — disons plutôt cette nuit, il devait être 2h30 et je n’arrivais à rien produire lorsque j’ai ouvert Les Carcasses de Raymond Federman. On peut certainement avancer que c’est un bon livre à ouvrir lorsque l’on n’arrive plus à rien produire étant donné que Raymond Federman lui-même le relisait durant une journée infructueuse :

« L’autre jour dans mon bureau — comme je le suis tous les jours — sauf le dimanche quand je regarde les matchs de football à la télé — football américain bien sûr (là, j’ai souri parce que moi aussi, je suis au bureau tous les jours, et moi aussi, j’attends avec impatience la saison de foot américain qui reprend justement dimanche et que j’espère bien pouvoir regarder, mais la nuit, à cause du décalage) — et je foutais rien — y avait rien qui venait dans ma tête — pas une seule phrase qui m’aurait fait sourire un peu et me dire — tiens voilà un bon début — non rien — … — donc pour passer le temps je regarde par la fenêtre la belle vue — … — ce panorama majestueux m’a justement donné envie d’aller relire ce que j’avais écrit sur les carcasses — et au fil de ma lecture une idée m’est venue — non — pas une idée une phrase — celle-ci — quelle gueule il a dû faire le premier être humain pensant — un homo sapiens disons — quand il a vu le premier mort — »

Il faudrait préciser que Les Carcasses, Raymond Federman y avait pensé quand à la sortie d’une belle journée de golf, il s’était tout à coup penché sur l’épineux problème de la mort. La mort, on sait que Raymond Federman l’a rencontrée très tôt, et assez brutalement lorsque vers 14 ans, sa mère lui a dit « Chut » en le poussant dans un débarras pendant que la police la raflait — c’est l’objet, il me semble, de plusieurs de ses œuvres, mais je ne les ai pas lues encore. Il me semble que j’ai lu cette information dans chacun des articles soumis à ma connaissance à propos de Federman, aussi je la relaie car ça vous pose un homme autrement mieux qu’en disant qu’il est chauve (du reste, Federman n’était même pas chauve), même si, dans ce texte, il n’est pas question de cela, et surtout pas non plus de « tomber dans la grande connerie méta-pata-physique » ; non, l’objet réel des Carcasses, c’est de se désennuyer un jour où on ne fout rien, aussi « pour nous divertir un peu imaginons-nous mort ».

Cette mort que Federman invente un jour où il s’embête, c’est en réalité un entre-vie comme il y a des entractes : tu meurs, et « te voici à faire la queue leu leu parmi la longue file des carcasses qui viennent d’arriver — oui c’est comme ça que s’appelle cette histoire — Les Carcasses — les voilà — toutes entassées les unes sur les autres comme des vieilles peaux vides » dans une zone au bout de l’univers où elles attendent dans un non-temps d’être transmutées. Pas de Paradis, pas de Saint Pierre et pas d’Âme, mais à la place, une Zone qui m’évoque Tarkovski, des Autorités avec leur attirail autoritaire fait de torture, de délation et de répression, et puis donc, ces peaux vides « comme de vieux chiffons sales » dont on nous dit plus loin que pour patienter dans le non-temps en attendant d’être transmutées, au lieu, comme Federman de se raconter des histoires entre deux phases de création, elles se frottent de manière libidineuse, comme des vieilles peaux en somme, et tout cela m’évoque furieusement Under the skin, où des peaux comme de vieux torchons flottaient dans un non-lieu, condamnées par leur libido, en attendant que quelqu’un se resserve d’elles. Et pourtant plus encore, c’est Beckett que l’on sent partout et d’autant mieux qu’il y sera fait plusieurs fois référence dans une liste des transmutations de carcasses célèbres : Gogo et Didi en esclaves romains, Bouvard et Pécuchet en Mercier et Camier, Beckett en ver de terre, Roméo et Juliette en Gogo et Didi, JFK en Malone, Godot en rumeur et même Freud en parapluie, sans parler de Pozzo et Lucky. C’est que le plus absurde, dans tout ce système, c’est encore les transmutations, les vies de l’entre-vie, qui nous font dire, chacune, qu’on soit lion ou bouvier, qu’on soit rose ou pot de chambre : « quelle espèce de vie était-ce là ».

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