Daytripper, au jour le jour
de Fábio Moon (Scénario), Gabriel Bá (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 16 août 2015
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Brillant et inoubliable
Brás de Olivas Domingos, fils d’un grand écrivain brésilien, aspire tout comme son père à vivre de sa plume. En attendant, il doit se contenter de rédiger les nécrologies pour le journal local de Sao Paulo. Sa mère l’a surnommé son « petit miracle » en raison des événements liés à sa naissance. Sur le point d’accoucher alors qu’une panne de courant touchait toute la ville, celle-ci se mit à chanter et provoqua la venue au monde de son fils, tandis que lampes et néons s’allumèrent de nouveau. Mais l’autre miracle que va vivre Bras, c’est d’expérimenter plusieurs morts à différents âges de sa vie…

Si un jour vous recevez « Daytripper - au jour le jour » en cadeau, chérissez celui qui vous l’a offert. Et si ce chef d’œuvre vous tombe dans les mains par hasard, chérissez la vie, tout simplement. Car après une telle lecture, il y a de fortes chances que vous ne voyiez plus les choses tout à fait comme avant. A travers Brás, le lecteur se verra rappeler certaines évidences fondamentales – car c’est bien connu, c’est souvent l’habitude qui nous fait oublier ce qui se trouve sous nos yeux – en se mettant dans la peau du personnage, d’autant plus facilement que celui-ci facilite l’identification par son côté anti-héros humain et attachant. La trame est à la fois simple et très originale. Découpé en dix chapitres, chacun d’entre eux constituant une nouvelle se terminant par la mort de Brás à un âge différent avec des causes diverses, ce récit leitmotivique souligne notre condition éphémère comme pour mieux nous faire assimiler cette maxime pleine de sagesse : vivons « au jour le jour », comme si chaque jour était le dernier.

A l’aide d’un trait voluptueux, Fábio Moon et Gabriel Bá nous offrent là une histoire généreuse, sensuelle et profonde comme le Brésil, où l’âpreté du monde et son corollaire, le désenchantement, rencontrent le sacré puis s’effacent devant lui. La mise en couleurs de Dave Stewart reste sobre et élégante, tout en contraste comme la vie peut l’être. Il semble que rien ne manque à cette œuvre très aboutie, qui bénéficie par ailleurs de textes et dialogues d’une grande qualité. Il y aurait encore beaucoup à dire, tant cette production recèle de richesses. Mais afin d’éviter que la présente chronique n’empiète sur cet objet magnifique, une simple liste d’adjectifs devrait suffire à définir « Daytripper », même si celle-ci ne saurait être exhaustive : harmonieux, humain, humble, fraternel, sensible, vibrant, poétique, lumineux, poignant, tragique, merveilleux…

Au final, cette « excursion d’un jour » se révélera un véritable baume sur nos « coração » soucieux, un baume capable de suspendre pour un instant le temps de nos vies, aussi éphémères qu’un éclair dans le ciel infini. C’est pourquoi, nous disent les auteurs, pour réaliser nos rêves, nous devons vivre notre vie, et ne pas rester passifs par peur de l’échec. Vivre. « Se réveiller. Avant qu’il ne soit trop tard. » Demeurer humbles. Apprécier la beauté du monde dans les choses les plus simples.

Récompensé par un Eisner Award, préfacé par Cyril Pedrosa et postfacé par Craig Thompson, autres pointures du roman graphique, « Daytripper » s’impose incontestablement comme une œuvre majeure du neuvième art brésilien et plus généralement planétaire.