A toi, pour toujours, ta Marie-Lou
de Michel Tremblay

critiqué par JEANLEBLEU, le 26 juillet 2015
(Orange - 56 ans)


La note:  étoiles
Profond et puissant...
Je viens de voir cette pièce aujourd'hui au festival off d'Avignon 2015 et je suis encore bouleversé quelques 8 heures après en être sorti...
Dans la comédie humaine familiale du grand Michel Tremblay, l'on passe souvent du plus drôle au plus dramatique dans les mêmes œuvres (en passant par toutes les nuances intermédiaires mêlées). Mais là, la dimension tragique est la plus omniprésente dans ce drame familial sur l'incommunicabilité le tout dans le contexte du milieu ouvrier montréalais des années cinquante (dans lequel la vie n'était facile ni pour les hommes qui se tuaient au boulot ni pour les femmes condamnées à rester à la maison et à supporter les assauts de leurs maris, le tout sous la férule de la religion très présente à cette époque).
Cette pièce profonde et puissante a été magnifiquement interprétée à Avignon par quatre excellents acteurs : Yves Collignon, Cécile Magnet, Marie Mainchin et Sophie Parel.
La classe ouvrière montréalaise 10 étoiles

Si le titre semble relever de la panoplie de ce que peuvent se dire les amoureux, l’œuvre, par contre, ne traite pas d’amour, sauf celui que le temps affadit. C’est au rythme de la violence que se construit ce drame familial qui est d’une profonde tristesse. Le couple formé de Léopold et Marie-Lou ainsi que leurs enfants pataugent plutôt dans l’aire du désespoir.

Michel Tremblay explore la violence intime mue par le monde extérieur. Les personnages, vidés de leur essence, vivent repliés au sein de la sacro-sainte famille québécoise et se soumettent aux oppressions engendrées par la bigoterie, l’alcool, le travail mal rémunéré et avilissant comme l’a montré Chaplin.

À toi pour toujours, ta Marie-Lou ressemble à un chant choral dont les quatre voix (père, mère et deux enfants) se soudent pour exprimer la tristesse de vivre. L’intrigue est nulle. Elle suspend son vol au-dessus d’un espace-temps d’où surgissent les déchirements de la souffrance morale. Comme pour l’œuvre de Tennessee Williams, la pièce de Tremblay est structurée pour laisser transparaître la solitude et l’incommunicabilité qui enferment les personnages dans un passé étouffant.

Pour les Français, la langue de l’auteur n’est pas aisée à décrypter. Il fallait faire le choix de se plier au langage montréalais qui est différent des autres régions, en particulier de la Gaspésie. Ce choix est capital pour exprimer les conditions de vie de la classe populaire de Montréal des années 1950 empreintes de religiosité et d’aspirations souterraines qui laissent présager en filigrane la révolution des mœurs des années 1960. Bref, bien comprendre le Québec passe avant tout par l’œuvre de Michel Tremblay.

Libris québécis - Montréal - 82 ans - 27 juillet 2015