Une vie pour rien
de Marc Pirlet

critiqué par Catinus, le 10 juillet 2015
(Liège - 72 ans)


La note:  étoiles
Double pépite liégoise
Le narrateur, un jeune Liégeois, est aux prises avec un déboire amoureux : Marie l’a quitté. Plus rien ne l’intéresse, ni son travail, ni ses loisirs, ni même ses amis. Pour combler la vacuité de sa vie, il s’engage comme bénévole auprès des sans-logis à la caserne St-Laurent à Liège. Un triste jour d’hiver, il rencontre une vieille personne, Mathilde, 81 ans, qui habite, seule, dans un petit appartement rue de Fexhe, au quartier Sainte-Marguerite. Chaque jour, il lui rend visite et une vraie amitié va s’instaurer entre eux …

Un court roman (130 pages) qui se déroule de nos jours à Liège. Un réel bijou pour les lecteurs liégeois, une double pépite pour les habitants du quartier Sainte-Marguerite et un régal pour tous les autres.

« Marc Pirlet est né à Liège en 1961. Avec « Une vie pour rien », son quatrième roman, il poursuit sa quête d’humanité dans un monde déchiré par la cruauté, le mépris et l’indifférence ».



Extraits :


- C’était un peu avant Noël, un samedi après-midi. Ce jour-là, alors que je sortais de l’épicerie située en haut de la rue Saint-Séverin, je l’avais aperçue sur le trottoir d’en face, appuyée contre la façade d’une maison. Je m’étais arrêté pour l’observer. Elle avait l’air encore plus chétive, plus fragile qu’à l’accoutumée. Elle avait posé son sac à ses pieds et, cassée en deux, la tête dans les épaules, elle regardait droit devant elle. La neige s’était mise à tomber, lourde et serrée. (…) Je la croisais régulièrement, une fois toutes les deux ou trois semaines, tandis qu’elle faisait ses courses dans les petits commerces de la rue Sainte-Marguerite et de la rue Saint-Séverin. (…) Dans le quartier, elle était devenue, depuis des années, un élément du décor. Elle ne choquait ou n’apitoyait plus personne.

- Elle habitait rue de Fexhe, un peu plus loin que Les Portes de Liège, le bistrot où j’avais pris l’habitude d’aller boire un verre en fin de soirée, quand je sentais que j’aurais des difficultés à m’endormir.

- J’ai tardé à trouver le sommeil cette nuit-là. Après avoir soupé sans appétit, je suis resté dans mon fauteuil en attendant que vingt-deux heures sonnent au clocher de la basilique Saint-Martin.

- Les sans-abri arrivaient frigorifiés devant la grille de la caserne où des responsables de la mosquée de Sainte-Marguerite les attendaient avec de la soupe et des sandwichs. Tout le monde y avait droit, musulman ou pas. Je me souviens que ce geste de solidarité m’avait profondément ému, venant de personnes – des Arabes – qui, par leur religion et leurs origines, sont eux-mêmes stigmatisés. Qu’ils puissent venir en aide aux plus démunis d’une société qui les marginalise me réchauffait le cœur. Comme une fragile lueur dans la nuit de l’humanité.

- Les jours où je ne travaillais pas, j’allais chercher du pain chez Rabat, la boulangerie marocaine qui se trouve à l’angle des rues Mississipi et Sainte-Marguerite.

- Ses cheveux étaient lisses et soyeux. Dans leur blancheur, ils avaient gardé quelques reflets blonds. Ils lui tombaient sur le front et les épaules. Sa peau était sillonnée d’une infinité de rides très fines, comme de minuscules craquelures dans la porcelaine. Ses lèvres étaient aussi toutes parcheminées. Lorsqu’elle souriait – elle souriait rarement, et elle ne riait jamais-, on aurait dit qu’elles allaient se fendre.