Servitude et grandeur littéraires de Camille Mauclair

Servitude et grandeur littéraires de Camille Mauclair

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Alceste, le 7 juillet 2015 (Liège, Inscrit le 20 février 2015, 62 ans)
La note : 10 étoiles
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Fin de siècle en beauté

Disons-le d’emblée, Camille Mauclair n’est pas mort en odeur de sainteté. Sa mort en 1945 à l’âge de 73 ans lui a probablement évité des ennuis plus graves, en raison de son attitude sous l’Occupation.
Cette précaution oratoire prise, il faut saluer un témoin de première ligne de la vie littéraire française entre 1890 et 1900, qui relate dans "Servitude et grandeur littéraires" (1922) ses souvenirs de cette époque avec passion, lyrisme et sens du pittoresque. Ayant fait partie du tout premier cercle des amis de Mallarmé qui se réunissaient à son domicile de la rue de Rome, il commence par rendre un hommage filial à celui à qui il doit tout, dit-il, et qui nous apparaît chaleureux, humble, presque naïf, bien différent de ce que ses poèmes hermétiques peuvent laisser penser de lui.

Au fil des pages se déroulent les grands et petits évènements de la vie littéraire parisienne : la mort de Verlaine, si triste, et les discours de ses amis. Seul Catulle Mendès sut trouver les mots. L’occasion pour Mauclair de fustiger un certain snobisme de la jeunesse qui admiraient chez Verlaine le déclassé, l’ivrogne, le clochard, alors que ce côté aurait rebuté chez tout autre que chez l’auteur des « Romances sans paroles ».

Des faits intéressant sont rapportés à propos de la visite d’Oscar Wilde à Paris. Mauclair n’aime pas trop le personnage qui, par ailleurs, est fêté comme un roi par le milieu littéraire. Sauf que lorsque Wilde connaîtra ses déboires judiciaires, il n’y aura plus personne pour signer une pétition, si ce n’est Mauclair lui-même et François Coppée qui précisera bien qu’il le fait « en sa seule qualité de membre de la Société protectrice des animaux. »

Mauclair connaît bien le groupe des symbolistes, qu’il a fréquenté et qu’il juge avec recul : loin de former une école, ces jeunes gens se sont surtout opposés au naturalisme dominant de l’époque et ont considéré la « tour d’ivoire comme une réalité vraiment habitable"…

Il y a des pages vraiment miraculeuses, notamment celles où il narre sa rencontre avec Fantin-Latour, car Mauclair traite aussi de peinture et de musique. Le vieux peintre lui explique sa difficulté de représenter l’âme de ses personnages portraiturés. « On ne les peint pas comme des pots de fleurs, dit-il, l’âme est une musique qui joue derrière un rideau de chair, on ne peut la peindre, mais on peut la faire entendre. » Fantin-Latour pense à la fin avoir été trop long dans son entretien, et demande à Mauclair s’il ne lui en veut pas. « Si je lui en voulais ! se souvient Mauclair, j’ai rejoint le quai Malaquais et là, debout sous un réverbère, dans la triste humidité nocturne, j’ai griffonné au crayon ce que je venais d’entendre. »

À propos de Cézanne, Mauclair donne une version inattendue de l’engouement qu’il a suscité et continue de susciter. Il parle d’une sorte d’entente entre critiques snobs, collectionneurs et adroits marchands. Les théories sur son génie ont fleuri à la fin de sa carrière, et lui-même en était le premier étonné.

Ainsi défilent au long des pages, pris sur le vif, dans un éclairage particulier, les grands noms de la vie artistique de l’époque : Barrès, Claudel, Huysmans Zola, Moréas, Rodin, Berthe Morisot, et d’autres moins connus comme Péladan ou Jean Lorrain. Pas un mot sur Marcel Proust cependant, alors qu’il est exactement contemporain de l’auteur. Les Belges sont particulièrement soignés, avec admiration et respect, loin de la condescendance et de la bouffonnerie qui caractérisent le regard français sur les Belges d’aujourd’hui. À côté de Maeterlinck et de Rodenbach, on voit passer Verhaeren, Lemonnier et l’humble silhouette de César Franck courant de ses prestations d’organiste à Sainte-Clothilde à ses leçons particulières.

Les souvenirs s’achèvent sur quelques réflexions désabusées à propos de ce qu’il appelle l’ « arrivisme », la course à l’argent, excuse commode pour justifier un relatif échec face à des concurrents plus brillants. Pourtant, du brillant il y en a dans la phrase de Mauclair : elle emporte par son rythme, éblouit par son sens du mot juste, touche au cœur par ses images audacieuses, et s’achève en apothéose. Un vrai régal de lecture !

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