Elek Bacsik, un homme dans la nuit
de Balval Ekel

critiqué par Débézed, le 31 mai 2015
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Secret de famille
Je suis resté un long moment ému après la lecture de ce livre qui est présenté comme un essai biographique sur la vie, les vies plutôt tant il a vécu des moments d’existence très différents sous divers cieux, du guitariste et violoniste rom Elek Bacsik, mais qui est surtout une longue et douloureuse quête identitaire de l’auteure, sa fille qu’il n’a jamais connue (derrière le pseudonyme d’Ekel, il n’est pas bien difficile de reconnaître Elek le prénom du père). A quarante-six ans, Balval Ekel découvre qu’elle est la fille de ce musicien de jazz et comprend enfin tout ce qui la différencie des autres enfants de sa fratrie. Elle rompt avec sa famille qui lui a toujours menti et n’a jamais voulu répondre à ses questions. « Tous, grands-parents, oncles, tantes et ma mère surtout ont été complices de ce crime qu’on banalise parfois sous le nom de secret de famille. Et puis un jour, au cours d’une émission sur l’acteur Patrick Dewaere, l’aveu de sa mère révèle les mystères de la mienne ».

A travers les efforts colossaux qu’elle déploie pour récupérer des bribes d’information : témoignages, pochettes de disques, articles de presse et tout autres documents où peut apparaître le nom de celui qui est son vrai père biologique, on suit le douloureux parcours que cette femme a emprunté pour essayer de connaître sa réelle identité, sa généalogie, sa culture, son histoire, celle de sa famille et celle de son peuple. Et même si la biographique de ce grand musicien qui privilégia toujours le talent au détriment de la notoriété, reste incomplète, elle fait vivre un jazzman de génie qui jouait de plusieurs instruments et qui se produisait et enregistrait avec les plus grands, ce livre regorge de noms qui sont encore célèbres ou l’ont été dans la seconde partie du XX° siècle. Un vrai bain de jouvence musicale pour les lecteurs de ma génération.

Ayant quitté Budapest en 1946, il passe par la Suisse et différentes villes du Bassin méditerranéen avant de s’installer à Paris au début des années soixante, à l’époque où les plus grands jazzmans hantent les cabarets de la Rive gauche avec le plus grand bonheur et le plus grand succès. Il y fait de très nombreuses rencontres, gagne de nombreux cachets dans les concerts, enregistrements, musiques de film et de publicité, … qu’il boit tout aussi vite qu’il les gagne en faisant la fête jusqu’au bout de la nuit. Il terminera sa carrière et sa vie aux Etats-Unis en vivant toujours de ses cachets sans jamais avoir construit une œuvre qui aurait pu assurer une rente confortable pour lui et son épouse.

Ce livre est très émouvant car l’auteure y a mis toute sa douleur, toutes ses frustrations, toute l’énergie qu’elle a dépensée pour trouver ses origines et construire son identité, toute sa rancœur vis-à-vis de ceux qui l’on trahie, l’empêchant de connaître son père avant qu’il décède, lui imposant un changement de statut radical quand elle dû avouer que son père « est musicien de jazz, un Hongrois d’origine tsigane. Je sors une photo d’Elek et comprends que je serai désormais regardée non plus comme une Française issue de la bourgeoisie aisée, mais comme une sorte de bohémienne ». Elle dû faire face à certains affronts.

Un livre qui prend aux tripes tant l’auteure y met d’intensité émotionnelle et tant elle s’implique dans cette difficile quête, on a l’impression de faire partie de l’histoire, surtout ceux de ma génération qui reconnaitront de nombreux acteurs de l’entourage de ce musicien talentueux et peu prévoyant. Sa vie avait été certainement trop difficile dans son début pour qu’il n’en profite pas dans sa partie consacrée uniquement à la musique. « Tu t’es exilé. Tu as connu la guerre, l’extermination de milliers de Roms, tu en aurais des choses à raconter, mais peut-être avais-tu trop à taire ».