Notre héros défiguré de Mun-Yol Yi

Notre héros défiguré de Mun-Yol Yi
(Kū hä kyō ul)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par SpaceCadet, le 14 juin 2015 (Ici ou Là, Inscrit(e) le 16 novembre 2008, - ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (39 850ème position).
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L'école, ce microcosme de la société.

Paru en 1987, au moment où la Corée du Sud s'apprête à s'extirper, non sans agitation, d'un régime dictatorial régnant sur le pays depuis plus de deux décennies, ce roman éponyme d'un auteur plébiscité dans son pays, connut un vif succès. Et pour cause!

Racontée par Han Pyongtae, l'un des protagonistes, cette histoire qui se déroule en 1960 et conclut en 1986, porte en elle et plus particulièrement à travers ses personnages, les marques invisibles du long et parfois difficile parcours d'une société d'où émergea l'une des économies les plus florissantes d'Asie.

Au printemps de l'année 1960, la Corée du Sud aborde un tournant de son histoire politique. Suite à l'annonce d'élections anticipées dont le but est d'affirmer le contrôle exercé par le président sur son gouvernement, des mouvements de protestations éclatent. La famille Han, possiblement victime de remaniements internes ( le père étant, selon le narrateur, en conflit avec son administration), quitte Séoul et les privilèges associés à un poste au sein de la fonction publique, pour une situation de second rang dans une quelconque ville de province. Han Pyongtae (à l'image de Yi Munyol) est alors âgé de douze ans. Provenant d'une prestigieuse école de Séoul, il est confiant du statut que lui confèrent ses origines et table sur ses performances scolaires pour être reconnu en société. Ainsi, une fois parachuté dans son nouvel environnement, Pyongtae tout en comptant être estimé à sa 'juste valeur', tente de s'intégrer parmi ses camarades de classe. Mais allant de surprises en déconvenues, il se voit rapidement confronté à une série de règles incongrues dont il finit par deviner l'auteur. Convaincu de sa raison et de son bon droit, Pyongtae s'insurge contre ces lois injustes puis se lance dans une guerre sans merci contre Om Sokdae, l'impitoyable président de la classe, dont le souvenir hantera Pyongtae ainsi que ses camarades pendant de nombreuses années.

Avec le recul des années, Han Pyongtae nous amène donc à la rencontre du garçon qu'il fut et nous décrit avec force détails comment il vécut cet épisode au cours duquel il découvrit l'un des visages du pouvoir; celui de l'autocrate rompu à l'univers de la supercherie, de l'extorsion et autres manipulations. Puis, tandis qu'il nous entraîne à sa suite, il raconte enfin comment il connut le prix à payer, tant par celui qui tente de s'opposer que par ceux qui acceptent de se soumettre.

Yi Munyol puise sans doute dans ses souvenirs d'adolescent pour décrire avec une telle acuité les expériences vécues par ce garçon ainsi que pour tracer avec autant de lucidité, à travers le portrait de cette classe d'école, mini-société reflétant l'autre, celle des grands...

Celle qui, au printemps 1960, vit une brève révolution et qui, en 1986-87 (au moment où le récit conclut), s'apprête à traverser un nouvel épisode houleux, alors que plus que jamais elle porte en elle les stigmates d'un système marqué par l'autoritarisme et entaché par la corruption.

La prose est sobre, l'intrigue est attachante et la narration, d'une fluidité remarquable. Mais si le texte est habilement tissé, le second volet du roman étant faiblement lié à l'intrigue principale, vient briser de manière perceptible, cette belle homogénéité.

Brillamment conçu, ce roman, tout en proposant une réflexion sur l'exercice du pouvoir ainsi que ses diverses ramifications, illustre comment l'école constitue tout à la fois un miroir de la société et une fabrique où se forment les esprits qui façonneront le monde de demain.

Court, compact et puissant.

N.B. Lu en traduction anglaise.

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Les éditions

  • Notre héros défiguré [Texte imprimé], récit Yi Munyol trad. du coréen par Ch'oe Yun et Patrick Maurus
    de Yi, Mun-Yol Maurus, Patrick (Traducteur) Yun, Ch'oe (Traducteur)
    Actes Sud / Lettres coréennes (Arles)
    ISBN : 9782868695772 ; 6,25 € ; 10/08/1993 ; 118 p. ; Broché
  • Notre héros défiguré [Texte imprimé] Yi Munyǒl romans trad. du coréen par Ch'oe Yun et Patrick Maurus lecture de Michel Polac
    de Yi, Mun-Yol Polac, Michel (Postface) Maurus, Patrick (Traducteur) Yun, Ch'oe (Traducteur)
    Actes Sud / Babel (Arles)
    ISBN : 9782742700387 ; 7,70 € ; 20/07/1993 ; 261 p. ; Poche
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Du fonctionnement de la tyrannie...

7 étoiles

Critique de Myrco (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans) - 27 juin 2015

Enfant de la partition coréenne (né en 1948), Yi Munyol lorsqu'il fait paraître ce récit en 1987 à l'aube de la transition démocratique en Corée du Sud, n'aura pratiquement connu qu'une succession de dictatures au pouvoir.

Rien d'étonnant à ce que ce thème du fonctionnement de la tyrannie fasse l'objet de sa réflexion. Dans ce court récit, l'auteur a choisi, loin de toute approche théorique, d'illustrer ce thème de manière très vivante et concrète, nous impliquant en tant que lecteur au travers d'une situation à laquelle chacun de nous peut facilement s'imaginer confronté.

Son narrateur, Pyongt'ae, à l'occasion d'une rencontre fortuite, se remémore un épisode de sa scolarité survenu une trentaine d'années auparavant. Alors âgé de douze ans, il s'était retrouvé propulsé dans un nouveau milieu scolaire, où à l'encontre de tout ce qu'il avait connu jusque là, un petit caïd, Om Sokdae faisait régner sa loi sur toute la classe, avec la complicité passive du maître.
Nous est ainsi relatée l'histoire de cette relation de pouvoir à l'échelle d'une classe d'école, depuis la tentative de résistance de Pyongt'ae qui se heurte à l'impossibilité de soulever les autres élèves inféodés au chef de classe jusqu'à la chute de celui-ci et au-delà, en passant par différentes étapes de soumission.

Grâce au recul et à la capacité d'analyse induits par le choix de l'adulte narrateur - et bien que certains flous subsistent- c'est tout le mécanisme de la relation dominant/dominé qui est décortiqué ici avec beaucoup de subtilité dans toute sa complexité, qu'il s'agisse des différents aspects de la manipulation et de l'oppression dont Sokdae joue avec intelligence, ou des ressorts psychologiques qui déterminent les comportements de l'oppressé. YI Munyol met bien en évidence le fait que la soumission n'est pas qu'une simple réaction de préservation face à la violence coercitive ou à l'intimidation mais un processus beaucoup plus complexe et pervers qui fait du dominé l'acteur de son asservissement.
Sur cette ambiguïté dont témoigne déjà le titre "Notre héros..." repose toute la force et l'intérêt du propos, un propos à vocation si universelle qu'il s'avère transposable aussi bien dans le contexte de relations entre individus que dans un contexte politique au niveau d'un pouvoir autoritaire s'exerçant sur un peuple.
Peut-être est-ce d'ailleurs pour cette raison que l'auteur souhaitant cibler l'analogie avec le politique a pris le parti -un peu trop appuyé à mon sens- de références explicites, puisant à dessein dans un vocabulaire décalé avec le contenu de son récit: "révolution", "écroulement de son empire", "celui qui gouvernait avec une poigne d'acier"...
Autre réserve: la dénonciation vise ici plus le pouvoir des petits chefs plutôt que le sommet...

Malgré l'issue de l'épisode relaté, ce texte nous abandonne sur une note plutôt pessimiste. Au- delà de la difficulté des peuples à s'affranchir de la tyrannie des puissants, il met l'accent sur la fragilité des valeurs de liberté, de justice et de rationalité (le narrateur en était totalement imprégné et pourtant, elles ont chez lui, à un moment vacillé). Par ailleurs, bien qu'il ait défendu ces valeurs, l'auteur ne cache pas sa perplexité devant les dérives de la démocratie et la tentation récurrente d'un pouvoir fort: référence probable à la tentative éphémère de démocratisation et à la situation chaotique qui suivit le 19 avril 1960.

La fin assez déroutante casse un peu, comme l'a déjà souligné SpaceCadet la "belle homogénéité" du récit jusque là très resserré sur le thème central. Dans un constat lucide et amer, le narrateur (l'auteur) y dénonce le règne des voyous, de la finance et du consumérisme, un monde où ses valeurs ne lui ont servi à rien. Mais plus encore, dans une formule qui témoigne encore d'un sentiment ambigu pour Sokdae:"il n'était qu'un faible parmi nous tous", semble s'exprimer l'impuissance des individus devant le pouvoir, tous les pouvoirs...

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