L'Art de lire
de Emile Faguet

critiqué par Pierrequiroule, le 29 avril 2015
(Paris - 43 ans)


La note:  étoiles
Les livres, "ces petits meubles de l'intelligence"
Académicien et critique littéraire éminent, Emile Faguet (1847-1916) est en quelque sorte un lecteur professionnel. Dans cet essai, aussi clair que pertinent, il nous livre 10 secrets permettant à tout amateur de développer un savoir-lire basé sur le plaisir, qu’il soit esthétique, émotionnel ou intellectuel.

L’art de la lecture implique d’abord le bonheur de découvrir des œuvres variées. C’est pourquoi Emile Faguet consacre plusieurs chapitres aux différents types de lectures et à la manière d’en tirer profit. Comment savourer une œuvre d’idées? Un livre de sentiments? Dans quel état d'esprit aborder un recueil poétique ou une pièce de théâtre ? Face à un écrit romanesque, le plaisir sera avant tout émotionnel, puisqu’il s’agira de chercher dans la fiction un peu de soi-même, à travers la multitude de personnages qui tous incarnent des aspects divers de l’humanité. Il en va de même pour le théâtre, à cela près qu’en lisant une pièce, le lecteur doit s’efforcer d’en imaginer la mise en scène pour y goûter pleinement. La poésie, elle, nécessite une juste appréciation du rythme et de la musicalité du langage. Quant aux ouvrages d’idées, ils suscitent avant tout le plaisir de penser: « La lecture d'un auteur qui est philosophe est une discussion continuelle avec lui », écrit Emile Faguet. A cet égard, il peut être profitable de lire même les « auteurs obscurs » qui se dérobent à la compréhension du non-initié : la simplification que le lecteur doit opérer mentalement est en effet un exercice des plus stimulants. Mais faut-il éviter les « livres des sots » ? Certes non, car ils permettent par contrastes de développer en nous le sentiment de l’excellence face à un grand écrit.

Dès lors, il est intéressant d’établir un profil psychologique type du lecteur en fonction de son choix d’ouvrages. Faguet distingue le lecteur de romans d’aventures – souvent casanier au quotidien –, l’amateur d’ouvrages réalistes – plus prosaïque, voire pessimiste-, ou encore le lecteur idéaliste –souvent une lectrice ! Mais il reconnaît que cette classification souffre de nombreuses exceptions.

Quelle que soit l’œuvre, Emile Faguet préconise une lecture lente - et même, lorsqu’il s’agit de poèmes, une lecture expressive à mi-voix. Il conseille également de relire les livres importants pour nous. La relecture permet non seulement de mieux comprendre l’œuvre dans sa complexité, mais aussi de se comparer à un ancien soi-même : ce roman qui m’a fait pleurer d’émotion à 20 ans aura-t-il le même effet sur le quadragénaire que je suis devenu ? Ce philosophe que je trouvais autrefois trop complexe saura-t-il à présent me captiver? Ainsi, le lecteur peut tracer sa courbe intellectuelle et émotionnelle sur une longue période. Il serait même possible, selon Faguet d’écrire son autobiographie à partir d’impressions de lectures. La relecture est donc un passionnant retour sur soi, un outil d’auto-analyse psychologique.

Pour finir, Emile Faguet s’interroge sur les rôles respectifs du critique et de l’historien littéraire. Alors que ce dernier prépare le lecteur à entrer dans une œuvre en lui présentant un contexte littéraire, le critique, lui, est l’ami qui partagera son point de vue avec le lecteur une fois le livre fermé. La critique prolonge le plaisir de la lecture mais ne doit jamais être abordée avant l’œuvre elle-même, au risque d’influencer le lecteur qui ne pourra dès lors plus porter un regard neuf sur ce livre.

Cet ouvrage est une véritable apologie de la lecture, "art de penser avec un peu d'aide". En une centaine de pages et dans un style très abordable, Faguet évoque des questions qui ne manqueront pas de passionner des lecteurs enthousiastes. Pour moi, ça a été un vrai régal! Grâce à ses nombreux exemples littéraires, l'auteur m’a donné envie de découvrir de nouveaux livres et de lire d’autres essais issus de sa plume.