Les Noceurs
de Brecht Evens

critiqué par Fanou03, le 24 mars 2015
(* - 48 ans)


La note:  étoiles
Mais qui est donc Robbie ?
Brecht Evens est présenté parfois comme un jeune prodige de la bande dessinée contemporaine. En tout cas je dois avouer que la lecture de son premier album, intitulé Les noceurs, m’a complètement décontenancé de premier abord, à la fois par son esthétique très particulière ainsi que par son récit intrigant.

Le récit débute par une réception organisée par Gert, un jeune homme, dans son appartement. Les invités arrivent les uns après les autres, ils semblent se connaître plus ou moins, peut-être est-ce que ce sont des anciens camarades d’école. Tout semble prêt pour que la fête soit réussie. Pourtant le cœur n’y est pas, un malaise perceptible se fait sentir, des silences, des discussions futiles s’installent. Petit à petit l’on comprend que l’assemblée attend avec impatience un dernier convive qui finalement ne viendra pas, le mystérieux Robbie, que le lecteur découvrira dans la deuxième partie de l’album.

Ces deux parties de l’album se répondent comme un des reflets inversés. A la fête triste et molle organisée par un Gert bien pâlot succède en en effet un épisode se passant dans une boîte de nuit, hantée (presque littéralement) par Robbie, personnage chatoyant, joyeux, qui tel une rock star est adulé par un public de fervents admirateurs: les filles rêvent de finir dans son lit, les garçons de lui ressembler. Autant la première partie de l’album est immobile, pathétique, autant la seconde est pleine de dynamisme et de mouvement, explorant notamment les pièces cachées du Disco Harem, cette boîte de nuit à la fois familière et onirique. On y observe Gert qui va y rejoindre Robbie. De toute évidence ils sont très proches, même si leur caractère est opposé à tout point de vue.

Mais qui est donc Robbie ? Un clown, un amuseur public, un séducteur libéré débarrassé des contraintes de la vie quotidienne ? Les clés de l’album sont difficiles à saisir. A ce titre la discussion qui s’engage entre Robbie et Gert sur la terrasse du Disco Harem est sans doute aussi essentielle que troublante. Personnellement je vois en Robbie un double positif de Gert, la personnalisation d’un inconscient fantasmé qui veut que l'amusement, au sens large du terme, ne cesse jamais, malgré la routine des jours.

Il faut bien parler maintenant du graphisme de Brecht Evens. Un graphisme étonnant, déconcertant, que l’on pourra trouver à première vue presque informe. Mais à y regarder de plus près ce style cache au contraire une technique parfaitement maîtrisée. Brecht Evens semble avoir disposé des touches de couleurs au pinceau, sans trait apparent, à l'aquarelle, avec des dilutions différentes. Quelle puissance pourtant, dans l’expressivité des personnages et des mouvements ou dans la sensualité des corps ! Les pleines pages qui parsèment l’album, quant à elles, explosent d’une impressionnante intensité chromatique.

Voilà donc une bande dessinée qui ne se laisse pas découvrir facilement, trompé que l’on peut-être par l’apparente futilité du récit qu’elle propose et son graphisme pas forcément avenant. Une bande dessinée qui ne laissera je pense personne indifférent. Mais n’est-ce pas cela que l’on demande à l’art ?