À l'ombre des arbres millénaires
de Vaddey Ratner

critiqué par SpaceCadet, le 15 février 2015
(Ici ou Là - - ans)


La note:  étoiles
Des mots pour témoigner
Lorsqu'en avril 1975 la ville de Phnom Penh est prise d'assaut par les Khmer rouges, nombreux sont ceux qui surpris par la nature de cette intervention, ignorent totalement vers quoi ils seront entraînés. A cette époque, entre un gouvernement qui bat de l'aile et une guerre (Vietnam) dont les répercussions déferlent sur toute la région, bien que l'on ait conscience des avancées marquées par les guérillas se bataillant au nom des habituels idéaux d'égalité et de justice, nul ne sait avec précision qui dirige ces hommes armés venus 'prier' les citoyens d'évacuer la capitale de même que d'autres villes dans le pays. De la même façon, tandis que les 'rouges' évoquent la menace d'un éventuel bombardement par l'armée étatsunienne, on ne connaît pas la véritable raison de ce déplacement 'provisoire', vers la campagne.

A l'instar de milliers d'autres cambodgiens pris dans le chaos qui s'ensuit, Vaddey Ratner et sa famille seront propulsés à l'aveugle, vers un avenir dont ils ne soupçonnent absolument pas la teneur. Mais peu à peu les choses prennent forme, et c'est au prix de lourdes pertes que ces descendants de la famille royale devront faire face à cet ordre nouveau au sein duquel survivre devient une bataille de tous les instants.

Rescapée de cet enfer et aujourd'hui installée aux Etats-Unis, Vaddey Ratner fait partie des rares auteurs cambodgiens à prendre place sur les tables de nos librairies. A l'image de ses compatriotes, elle a choisi pour cette première publication de nous présenter son propre témoignage. Mais si l'enfant qui était alors âgée de cinq ans a pu conserver certains souvenirs de cette expérience, c'est éventuellement par le biais de la fiction que l'adulte parvient à trouver les mots pour raconter ce dont elle et bien d'autres ont été témoin au cours de cette terrible période.

Evitant de nous convier à un spectacle de l'horreur ou à verser dans le mélodrame, Vaddey Ratner a choisi d'inscrire son récit sur un registre plus large, enrobant l'histoire qu'elle nous conte d'un voile teinté de folklore, de mythologie et autres éléments participant du paysage culturel cambodgien. Un choix qui, soulignons-le, place ce récit dans une perspective patrimoniale qui sert bien son objectif de témoigner au nom des siens.

Outre le contenu et en dépit de son caractère fictif, ce roman étant bâti sur un fil linéaire simple et comportant un récit évoluant à un rythme de bonne tenue, se range nettement dans la catégorie du témoignage.

Servi par une écriture fluide et agréablement parsemée de figures aux tonalités asiatiques, l'ouvrage demeure par ailleurs discret sur le plan thématique. En effet, adoptant un discours trempé d'un mélange de poésie et de pensée bouddhiste cette histoire contourne les débats et laisse ainsi à l'écart bon nombre de questions soulevées par le sujet, pour mettre en relief des notions telles que l'impermanence des choses et la pérennité de l'esprit. Enfin, à l'exception d'une évidente faiblesse au niveau de la narration, -celle-ci hésitant entre une perspective d'enfant et une voix d'adulte (ou vice et versa)-, l'ensemble est d'assez bonne facture et rends un poignant hommage aux victimes concernées.

N.B. Ce commentaire fait référence au texte en version originale de langue anglaise.