Un jukebox dans la tête
de Jacques Poulin

critiqué par Libris québécis, le 10 février 2015
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
J'ai lu tous vos livres
Mon titre n’est pas d’ordre confidentiel. En empruntant l’ascenseur de la tour qu’il habite à Québec, l’écrivain Jack Waterman, se fait dire par Mélodie, une jolie rousse de vingt-cinq ans portant des lunettes orangées qu’elle a lu tous ses livres. C’est dire qu’il occupe « une petite place dans [son] cœur », comme le confirme la jeune femme. Il y a de quoi gonfler l’ego d’un auteur qui publie des romans aux quatre ans sans trop se soucier de sa renommée.

Les circonstances font qu’ils se revoient, d’autant plus que chacun occupe un appartement dans le même édifice. Mélodie craint un locataire qui semble l’épier. Un soir, elle partage sa peur avec le vieil écrivain qui agrée de la recevoir chez lui. Presque chaque jour la ramène chez Jack devant lequel elle éventre lentement le sac de ses misères. Orpheline, elle est devenue une junky habituée aux centres d’accueil avant de prendre la poudre d’escampette. Elle se ramasse dans un garage, où elle se loge avec des chats trouvés dans un champ vague. C’est grâce à Boris, un bouncer (videur), qui accepte de l’accueillir dans cet abri de fortune. Cet homme inquiétant l’oblige encore à fuir. C’est finalement un organisme charitable dirigé par la sœur de Waterman qui lui offre l’hospitalité. Ses confidences entraînent celles de l’écrivain. De retour au Québec après un infarctus subi en France où il séjournait, il s’installe dans la capitale avant de louer une maison dans l’Île d’Orléans. Malheureusement, cette dernière est détruite par un incendie qui a coûté la vie à Mine de rien, le chat de Jack. Comme il a tout perdu, il revient dans le quartier Saint-Jean-Baptiste de Québec.

Échanger des souvenirs pénibles nourrit l’imagination, comme l’a écrit Aristote. De fil en aiguille se développe une dynamique amoureuse entre un sauveur âgé et une jeune femme en quête d’une guérison de l’âme. C’est plutôt l’empathie de Jack qui apaise Mélodie. Éros survole leur rapprochement sans déclencher des ondes enflammées. Ce sont des personnages sensés, qui savent se méfier de « I’implacable ennemi des amoureuses lois », comme l’a écrit Racine.

Pour ses romans, Jacques Poulin utilise souvent la trame qui reconstitue le passé de ses personnages afin de flairer ce qui constitue l’histoire de leur dynamique. Ce qui importe, c’est moins ce qu’ils font que ce qu’ils ressentent. Le sentiment donne vie aux œuvres de ce Beauceron vigoureux de 77 ans. À partir d’une rencontre, il tente de déminer le territoire à l’origine des souffrances de son petit monde. C’est un débroussaillage très intimiste, mais qui s’accroche à une réalité dont on paie les frais.

Pour apprécier son œuvre, il faut aimer l’expression de la tendresse, comme le chante Jacques Brel. « Pour un peu de tendresse, je t'offrirais le temps qu'il reste de jeunesse à l'été finissant. » C’est ce que Waterman propose à Mélodie. Ce roman n’évoque pas seulement Brel, mais aussi Brassens, Ferré… Tout un jukebox de mélodies françaises. C’est beau, mais la naïveté entache cette œuvre, qui se présente tout de même comme un parangon que les auteurs en herbe devraient consulter pour s’initier à l’art de l’écriture et de la structure.