Dojnaa
de Galsan Tschinag

critiqué par Myrco, le 2 juin 2015
(village de l'Orne - 74 ans)


La note:  étoiles
Hommage à la femme mongole
Toute l'œuvre de Galsan Tschinag -pas seulement littéraire -tente de retenir les derniers vestiges de la culture nomade dont il est issu.

Dans "Dojnaa" (paru en version originale en 2001) il nous transporte une fois de plus dans son berceau d'origine, à la pointe nord-occidentale de la Mongolie, au pied des Monts Altaï, dans ces paysages sublimes où vivent encore des moutons sauvages, où yacks et chevaux élevés en liberté pâturent sous la menace du loup, où dans la steppe immense des groupements de deux ou trois yourtes se rencontrent à pas moins d'une demi-journée de cheval les uns des autres...

Tschinag campe là le magnifique portrait d'une jeune femme à la personnalité remarquable. Héritière de traditions ancestrales qui la confinent dans un rôle peu enviable de génitrice et d'épouse corvéable, dévouée et résignée, les circonstances -en l'occurrence l'abandon du foyer par le mari- vont amener Dojnaa, face à la nécessité et à l'adversité, à la fois à libérer les aptitudes et les forces de battante qui sont en elle et à se révéler dans sa plénitude de femme, dans un véritable processus de renaissance.
Au travers de cette figure emblématique, l'auteur entendait rendre un hommage appuyé à la femme nomade mongole dont il fait ici l'incarnation du courage, de la dignité, de la combativité, garante de la continuité et de la transmission au sein d'un monde rude, dernier rempart face à une modernité corruptrice et une déliquescence auxquelles les hommes de la même génération ne semblent pouvoir résister. De ces derniers, en mal de domination, trouvant un exutoire dans l'alcoolisme et l'assujettissement sexuel de la femme, l'auteur nous livre en négatif une image dévaluée d'êtres veules et lâches.
Aux côtés de Dojnaa, le vieux couple voisin, de la génération antérieure, porte lui aussi une forte charge symbolique. Lui, Erjek, figure antithétique de la lignée de jeunes hommes évoqués précédemment, appartient à un monde finissant où virilité rimait encore avec responsabilité, sagesse et tendresse protectrice (il est amusant de se dire que Tschinag avait l'âge de son personnage auquel il s'identifie de toute évidence lorsqu'il a écrit ce texte). Quant à Anaj, bien que figure féminine secondaire, capable dans sa noble générosité de transcender ses légitimes sentiments négatifs par amour et pour assurer la pérennité du groupe social, elle est, elle aussi, l'illustration de la vision selon laquelle "l'avenir de l'homme est la femme" (dixit Aragon), dernier espoir illusoire hélas, d'un monde voué à un inéluctable anéantissement.

Si dans sa première moitié, le récit raconte, avec beaucoup de finesse dans l'analyse psychologique le vécu de part et d'autre d'un mariage qui n'avait pas débuté sous les meilleurs auspices, il n'atteint toute sa dimension, son véritable souffle que dans la seconde, celle-ci nous réservant de magnifiques scènes de beauté, d'émotion, voire de sensualité.
La prose de Tschinag simple et belle, rafraîchissante, souvent métaphorique (le bélier, la louve), a le don de nous transmettre avec force l'harmonie qui peut unir l'homme à son environnement naturel. Ici, le temps ne se mesure pas à la seconde mais au battement de pouls ou de paupière et la nature fait parfois écho aux évènements qui jalonnent la vie humaine :
"Comme par hasard! Oui, il avait neigé et la neige continuait à tomber (...). Les traces anciennes étaient noyées, de nouvelles traces allaient pouvoir se détacher sur ce néant de blancheur et se hâter vers des buts nouveaux."

PS: Né en 1944, issu d'une famille de chamans, appartenant à une minorité mongole turcophone, les Touvas, Tschinag a bénéficié dans sa jeunesse d'un programme d'échanges entre pays du bloc de l'Est et dans ce cadre suivi des études de linguistique à l'université de Leipzig en RDA; bien connu outre-Rhin , il a écrit la plupart de ses livres en allemand.