Le septième jour
de Yu Hua

critiqué par Myrco, le 10 mars 2015
(village de l'Orne - 74 ans)


La note:  étoiles
Morts sans sépulture
Un beau roman un peu étrange qui évolue entre le réalisme d'une Chine actuelle rude voire impitoyable aux gens ordinaires et la douceur fantasmagorique d'un monde d'après la mort où échoueraient ceux qui n'ont pu accéder à un digne traitement post-mortem.

Yang Fei, le narrateur, vient de succomber dans l'explosion d'un restaurant. Il se retrouve entre deux mondes, marchant sur le chemin du funérarium, en route pour sa propre crémation... en principe. Sauf qu'en Chine, il faut beaucoup d'argent pour faire face aux frais funéraires et, dans un système sans protection sociale, Yang Fei a déjà dû se dépouiller de ses biens pour soigner son vieux père atteint d'une maladie incurable. Désormais, il se retrouve seul à devoir assurer le fardeau de sa misère et de sa solitude...
Commence alors son errance " à la lisière de la vie et de la mort", sept jours qui correspondent à chacun des chapitres du livre, sept jours au terme desquels il trouvera sa place aux côtés de ses semblables, condamné à une paisible vie éternelle dans un entre-deux presqu'idyllique, faute de pouvoir accéder au repos éternel d'une sépulture: référence à une croyance chinoise ancienne selon laquelle les âmes des défunts erreraient pendant ce temps avant de rejoindre leur tombe, mais aussi à la genèse biblique qui semble décidément inspirer les auteurs chinois contemporains (*).

On suit le personnage dans le processus de recomposition de sa mémoire autour des évènements majeurs de sa vie: l'histoire à la fois dramatique et rocambolesque de sa naissance, de sa récupération et de son éducation par son père adoptif (car ce roman s'avère aussi une magnifique et touchante histoire d'amour père/fils), celle de son mariage éphémère avec la belle Li Qing, la seule femme qu'il ait jamais aimée.
Mais le cœur du livre, ce sont les rencontres dont est jalonné son parcours dans l'au-delà avec des êtres proches ou moins proches mais côtoyés dans la vie réelle, ne serait-ce que par médias interposés: une manière pour l'auteur de relier leurs histoires respectives et de convoquer, par le biais d'un artifice littéraire, les maux de la Chine d'aujourd'hui qui affectent les plus faibles. Poursuivant ainsi son œuvre de témoignage, Yu Hua relate un certain nombre de scandales ou de faits de société qui ont défrayé ou défraient encore la chronique et nous livre un portrait plutôt sombre de la société chinoise de plus en plus en proie à l'inégalité sociale, et dans laquelle ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir l'exercent à leur profit, souvent de manière brutale, au mépris de toute valeur, faisant fi de la dignité humaine et générant nombre de victimes derrière eux.

Ce roman mêle donc deux registres très contrastés. Il aurait pu n'être qu'un catalogue assez superficiel de travers que tout lecteur s'intéressant à la Chine connaît déjà, si ce n'était l'indéniable talent de conteur de Yu Hua, son aptitude à nous décrire une réalité amère, mais sans pathos, ne s'interdisant pas d'y introduire une petite dose d'humour et de cocasserie parfois.
Mais finalement, l'intérêt réside presque plus, à mon sens, dans l'angle d'approche choisi pour véhiculer ce contenu, angle qui confère son charme particulier au livre. Celui-ci glisse en effet, peu à peu, vers une dimension poétique de plus en plus sensible au fur et à mesure que l'évocation du monde des morts prend de plus en plus de place dans le récit, un monde bienveillant, solidaire, pur et chaleureux comme une tendre compensation à la souffrance de ces êtres meurtris, spoliés, marginalisés, un monde auquel l'auteur a su donner vie, de manière originale, usant de la prose simple, répétitive, économe de moyens et néanmoins si évocatrice qui lui est propre.

(*)Cf "Les quatre livres" de YAN Lianke.