Un membre permanent de la famille
de Russell Banks

critiqué par Myrco, le 7 juillet 2015
(village de l'Orne - 74 ans)


La note:  étoiles
Une Amérique désenchantée
"Un membre permanent de la famille" est le dernier ouvrage paru à ce jour de l'auteur américain Russel Banks qui ne nous avait pas livré de recueil de nouvelles depuis 2000, date de parution originale de "L'ange sur le toit".
Celui-ci en comprend une douzaine dont une bonne partie avaient déjà fait l'objet de publications dans diverses revues.

Nous retrouvons ici un univers similaire: une Amérique désenchantée gangrénée par le chômage et la crise immobilière, des familles décomposées plus que recomposées.

Que ce soit dans la froidure et la grisaille de l'Etat de New York ou sous le soleil de Floride, Banks met en scène de manière plus ou moins dramatique ou anodine, des hommes et des femmes en situation de fragilité.
Un "Ancien marine", père protecteur, incarnation de valeurs d'honneur, de devoir, marginalisé par la société, en viendra aux plus folles extrémités pour conserver jusqu'au bout son statut de patriarche responsable.
Dans la nouvelle qui donne son titre au recueil, le choix de la chienne de rester près du chef de meute vient perturber la perception de la dislocation familiale créant une sorte de déni d'une rupture traumatisante.
Dans les deux cas, ces pères s'efforcent de conserver la pérennité des rapports familiaux et il suffira d'un aléa accidentel pour que tout bascule.
Harold, un "ex-mari cocufié et largué" nourrit au fond de lui une rancœur capable de le pousser à commettre des actes impardonnables.
Ces hommes humiliés, blessés, "sur le fil du rasoir" (pour reprendre l'expression de la 4ème de couverture) tenteront de sauver les apparences, avant de franchir le pas fatal ou de retrouver l'équilibre au bord du précipice et reculer du "bon" côté.

Certains personnages tentent de compenser le vide de leur existence ou leurs frustrations comme ils peuvent, en se racontant des histoires ou en en racontant à d'autres comme cette femme rencontrée dans un bar. Et souvent, il y a les choses qu'on a envie de faire ...et que l'on ne fait pas.
D'autres se retrouvent confrontés à la réalité amère des rêves défaits, alors... on fait comme avant... même si le cœur n'y est plus.

Dans cet univers désabusé se glisse parfois un moment de grâce et d'émotion ("Transplantation") ou une note iconoclaste inattendue qui fait sourire ("Oiseaux des neiges").

Chez Banks, il semble que la critique sociale ne soit jamais loin. Avec "Blue", cette nouvelle des plus intenses dans laquelle une femme noire se retrouve enfermée après la fermeture sous la menace d'un pitbull, dans le parking d'un vendeur de voitures, il pointe la condition difficile des noirs dans la société américaine en même temps qu'il condamne l'indifférence et la suprématie de la société du spectacle.
Dans "La porte verte", il glisse une dénonciation des sectes religieuses à but mercantile qui font de la spiritualité un produit marketing comme un autre.

J'ai retrouvé ici la sensibilité à fleur de peau diffuse dans "L'ange sur le toit" dissimulée derrière une prose toujours sobre et pudique. Si dans l'ensemble ces nouvelles m'ont un peu plus accrochée, je ne suis pas sûre qu'elles laissent pour autant plus de traces dans ma mémoire, "Blue" peut-être...
12 nouvelles 8 étoiles

Pour qui aime apprendre des choses sur une société, étrangère, par le biais de ses lectures, ces 12 nouvelles de Russell Banks sont une véritable aubaine. Il ne s’agit pas en effet de nouvelles écrites pour raconter une histoire mais bien d’opinions portées sur une société, l’américaine en l’occurrence, et ses travers, ses insuffisances ou ses particularités, via le filtre de situations sociales le plus souvent « borderline ». En cela, Russell Banks est un auteur précieux.
Ancien Marine : une tragédie qui porte souvent le bout de son nez aux USA, un pays où la protection sociale n’est pas quelque chose d’évident et où la possession d’armes est largement tolérée (pour ne pas dire encouragée). Et un sacré dilemme père/fils en paquet cadeau !
Un membre permanent de la famille ; la nouvelle éponyme. Ou comment un animal peut s’avérer un « détonateur social », notamment dans le contexte de parents, avec enfants, séparés. Un grand classique de nos sociétés actuelles.
Transplantation sort un peu de l’épure. Davantage une histoire touchante qu’un réel fait de société. On pense à Créance de sang de Michael Connelly, l’aspect polar en moins …
Oiseaux des neiges, ainsi qu’on nomme les américains du nord des USA, voire les Canadiens, qui viennent passer l’hiver au soleil de la Floride, illustre le délitement d’un couple, la difficulté de décisions radicales à prendre et, peut-être, le miroir aux alouettes de ces Etats « au soleil ».
Big dog est un exercice virtuose sur les relations d’un groupe d’amis confrontés au succès d’un des leurs : jalousie, bonheur, mesquineries …
Blue est la plus poignante et rappelle à qui en douterait encore la précarité de la situation sociale d’un noir aux USA. Incroyable comme ce pays s’y entend pour faire perdurer, au moins dans les Etats du Sud, une ségrégation insidieuse et rampante. Comme l’illustre cette nouvelle, terrifiante dans son déroulé et sa fin.
A la recherche de Veronica joue sur l’ambiguïté. Non explicite mais assez effrayante par ce qu’elle suggère, toujours dans le domaine du social, quand même particulièrement dévasté aux USA …
La porte verte clôt le recueil et marque pour le coup que tout peut se terminer tragiquement dans un pays aussi violent que les USA. Au cas où on n’en serait pas conscient … !

Un bel exercice de présentation de divers aspects de la société américaine par un auteur qui n’est pas aveuglé par le miroir aux alouettes. Vive Russell Banks !

Tistou - - 67 ans - 15 juin 2023


Personnages à la dérive... 7 étoiles

Je ne peux pas dire que j'attendais avec impatience le moment de retrouver chacune de ces nouvelles. Bien qu'elles m'aient toutes intéressé, plus que captivé.

Sauf peut-être « A la recherche de Veronica », « cette femme rencontrée dans un bar ». Il y a pas mal de personnages en perdition, dans l'ensemble du recueil, qu'ils le sachent ou non d'ailleurs. Pas mal de personnes qui ne savent pas bien ce qu'il leur arrive.

En attente d'un vol dans un aéroport, dans un bar, Russel l'un des protagonistes de cette nouvelle, se laisse aborder par Dorothy, qui d'emblée lui raconte qu'elle est à la recherche de Veronica depuis des années... Russel, entre dans le récit de Dorothy, puis progressivement s'intéresse de plus en plus au talent de conteuse de son interlocutrice. Qui parle également de Helene sa fille.
Russel finira par en déduire que les trois sont une seule et même personne : Dorothy. Si toutefois elle lui a donné son vrai prénom.
Mais on peut aussi penser que Veronica et Helene sont bien réelles.

C'est sans doute ce qui m'a intéressé et que je retiendrai de Russel Banks. La fin (d'autres parlent de chute) reste souvent ouverte à notre interprétation et à notre imagination.

Extrait : « … C'est pour ça que vous me faites peur. C'est comme ce que vous avez dit sur Veronica et les toxicos dans son genre. Ils vivent dans leur propre histoire personnelle, même quand ils ne sont pas défoncés. Vous avez dit que c'était comme un virus. Leur maladie devient la vôtre. Vous avez dit que la seule réaction valable consiste à se mettre en quarantaine, loin d'eux. Vous avez dit qu'il faut supposer que tout n'est que mensonge. Et c'est exactement ce que je fais maintenant. Bonne nuit, qui que vous soyez. Quoi que vous ayez fait. » J'ai alors quitté le bar et, tout secoué, je suis allé directement jusqu'à la porte où j'allais attendre mon vol pour Minneapolis... »

Henri Cachia - LILLE - 62 ans - 11 février 2017