Madame Edwarda - Le mort - Histoire de l'oeil de Georges Bataille

Madame Edwarda - Le mort - Histoire de l'oeil de Georges Bataille

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Aaro-Benjamin G., le 4 janvier 2015 (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 54 ans)
La note : 6 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (41 286ème position).
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3 histoires d’excès

Trois textes érotico-pornographiques datant respectivement de 1937-1967-1928 qui ont en commun le dérapage et l’obsession. Le premier est la nuit de débauche d’un homme qui rencontre une déesse-pute. La provocation découle du mélange de l’obscène et de la religion. Le second est la débauche d’une femme qui suite à la mort de son époux se lance dans une folle nuit de sexe auprès des clients d’une auberge. Enfin le plus connu ‘Histoire de l’œil’ est la débauche de deux adolescents curieusement exaltés par l’urine, les œufs et les oeils.

La comparaison avec le Marquis de Sade est inévitable. Mais chez Bataille les excès tiennent plus du grotesque et du surréalisme que dans la présentation des horreurs soutenues par un propos philosophique. Par contre, l’écriture de Bataille est tout de même poétique, « D’ailleurs les régions marécageuses du cul – auxquelles ne ressemblent que les jours de crue et d’orage ou les émanations suffocantes des volcans, et qui n’entrent en activité, comme les orages ou les volcans, qu’avec quelque chose d’un désastre – ces régions désespérantes que Simone, dans un abandon qui ne présageait que des violences, me laissait regarder comme en hypnose, n’étaient plus désormais pour moi que l’empire souterrain d’une Marcelle suppliciée dans sa prison et devenue la proie des cauchemars. »

Si les trois textes sont un fascinant témoignage d’un écrivain torturé, ils ne sont pas tellement divertissants pour le lecteur. L’absence de trame romanesque ou d’une forme de message quelconque, aussi tordu soit-il, fait en sorte que le résultat est plutôt vide. Ici la perversité n’aura pas atteint son but de titiller, sauf peut-être pour l’auteur.

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La chronique de Froissart

8 étoiles

Critique de FROISSART (St Paul, Inscrit le 20 février 2006, 76 ans) - 1 février 2023

Ce curieux petit récit érotique de Georges Bataille initialement publié en éditions clandestines en 1941 sous le pseudonyme de Pierre Angélique n’est sorti en librairie qu’en 1956 chez Pauvert, Bataille n’ayant alors accepté d’y faire figurer son vrai nom qu’au bas de la préface.

Dans cette préface, l’auteur présente ainsi la thématique du texte :

Un ensemble de conditions nous conduit à nous faire de l’homme (de l’humanité), une image également éloignée du plaisir extrême et de l’extrême douleur : les interdits les plus communs frappent les uns la vie sexuelle et les autres la mort, si bien que l’une et l’autre ont formé un domaine sacré, qui relève de la religion. Le plus pénible commença lorsque les interdits touchant les circonstances de la disparition de l’être reçurent seuls un aspect grave et que ceux qui touchaient les circonstances de l’apparition — toute l’activité génétique — ont été pris à la légère.

Il s’agira pour Bataille, dans le texte en question, de rendre à l’activité sexuelle la gravité qui lui a été ôtée par l’homme animal social et/ou de délester la mort et ce qui l’entoure de ce poids excessif de gravité que, selon l’auteur, lui a attribué ledit homme (Bataille faisant abstraction des cultures qui entourent la mort de manifestations festives et ciblant ainsi uniquement, par omission, notre civilisation occidentale).
Ou, encore et autrement dit, le projet narratif consistera à ré-unir dans la mise en scène d’une histoire, dans laquelle s’imposera le JE de l’auteur, plaisir et douleur, légèreté et gravité, d’égale mesure, dans l’activité sexuelle et dans les circonstances enveloppant la mort.

Le personnage auteur narrateur, à l’issue d’une déambulation nocturne dans les rues d’une ville, au cours de laquelle s’exaspère en lui le désir de s’y promener nu et en érection, atterrit dans un bordel où il est immédiatement pris en main par madame Edwarda.
La transcription des relations fantastico-charnelles qui va suivre traduit parfaitement le dessein de l’auteur. Au gré des effusions, des exaltations, des exultations, des pâmoisons, en plein fil des scènes licencieuses surgissent à foison des termes exprimant des impressions a contrario du plaisir (choc, glaça, malheureux, tristesse, terreur, long étranglement, transi, infâme, malaise, tumulte, hébétude, obscène », et cetera), en des fragments narratifs mêlant à la jouissance une irrépressible atmosphère funèbre, ce qui n’est pas sans rappeler au lecteur la signification courante de l’expression « la petite mort », à la différence près qu’ici la perte de conscience, ce coma assimilable à la mort, survient avant l’aboutissement de l’acte.

Dans le tableau fantasmagorique de la salle commune du bordel où le narrateur se livre, sous l’autorité de sa partenaire, à leurs premières conjonctions au milieu d’une foule festive de clients et de péripatéticiennes eux-mêmes en pleine activité, Edwarda, choisie pour sa beauté (« Elle était ravissante, à mon goût. Je la choisis. ») appelle « guenilles » les appâts qu’elle présente et offre à son amant d’un soir, élément lexical qui, initiant puis accompagnant l’acte de soumission qu’est tenu d’exécuter le client, participe de cette volonté d’associer légèreté et gravité, et de dramatiser la sexualité.

« La mort elle-même était de la fête, en ceci que la nudité du bordel appelle le couteau du boucher. »

Plus tard, après le passage obligé qui consiste pour le client à « monter », moyennant paiement, vers une chambre et à y accomplir ce pour quoi il se trouve en ce lieu, Edwarda entraîne son partenaire dans un dédale de rues enténébrées, dans un décor fantasmatique, vers le but ultime d’une trajectoire marquée par une constante confusion freudienne d’éros et de thanatos.
Cette dérive essentielle recouvrirait-elle, sens ou non-sens, la potentialité que d’une part la disparition résultant de la mort et d’autre part l’apparition (naissance, génération, procréation) qui est la naturelle et originelle raison d’être de la sexualité relèvent ensemble, conjointement, simultanément, intrinsèquement d’une occulte intervention divine ? Auquel cas Edwarda serait Dieu ?

Allons bon !

Je m’explique : il est vain de faire une part à l’ironie quand je dis de Madame Edwarda qu’elle est DIEU. Mais que DIEU soit une prostituée de maison close et une folle, ceci n’a pas de sens…

Et pourtant…

Quoi qu’il en soit,

De son regard, à ce moment-là, je sus qu’il revenait de l’impossible et je vis, au fond d’elle, une fixité vertigineuse. A la racine, la crue qui l’inonda rejaillit dans ses larmes : les larmes ruisselèrent des yeux. L’amour, dans ces yeux était mort, un froid d’aurore en émanait, une transparence où je lisais la mort. Et tout était noué dans ce regard de rêve : les corps nus, les doigts qui ouvraient la chair, mon angoisse et le souvenir de la bave aux lèvres, il n’était rien qui ne contribuât à ce glissement aveugle dans la mort.

Laissons à l’auteur le droit de conclure :

Je demande au lecteur […] de réfléchir un court instant sur l’attitude traditionnelle à l’égard du plaisir (qui, dans le jeu des sexes, atteint la folle intensité) et de la douleur (que la mort apaise, il est vrai, mais que d’abord elle porte au pire).

Le lecteur y réfléchira… peut-être… après qu’il sera monté au ciel avec Edwarda.

Patryck Froissart
El Menzel, lundi 22 août 2022


L’auteur

Georges Albert Maurice Victor Bataille, né le 10 septembre 1897 à Billom et mort le 9 juillet 1962 à Paris, est un écrivain, philosophe, romancier, poète, essayiste et bibliothécaire français.

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