Après la nuit rouge
de Christiane Frenette

critiqué par Libris québécis, le 3 janvier 2015
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Une Madame Bovary de Rimouski
En 1950, un quartier de Rimouski fut la proie des flammes. Si elles ont éliminé les témoins séculaires de l’architecture de la ville, elles ont aussi infléchi le destin de ses habitants. Après cet incendie, Thomas est interné dans un institut psychiatrique de Québec, où il apprend le métier de jardinier. De retour dans sa ville natale après cinq ans, il tente de restituer un passé qui lui échappe. Contrairement à lui, Louise, âgée de 16 ans, fugue à Toronto afin d’oublier un passé qui lui aurait fait détester sa mère.

Ces deux protagonistes servent de tremplin pour mettre en relief la personnalité de Marie, la femme du médecin Romain Lemieux. À travers elle transparaît l’univers féminin. Divisée en deux mondes parallèles, notre société a présenté une image antagoniste des sexes. L’homme évolue dans sa sphère sans se préoccuper de celle de la femme. Malgré son titre de reine du foyer, elle n’en vit pas moins frustrations et ressentiments. En fait, l’héroïne désire abolir la dichotomie sexiste. Quand Romain confie à Thomas l’aménagement paysager de sa propriété, elle espère nouer, avec ce dernier, des liens qui les maintiendraient dans la même bulle. Qui, du désir ou de l’amitié virile entre deux copains d’enfance, l’emportera ? C’est la question sur laquelle repose l’intrigue du roman.

Si l’héroïne refuse la rectitude de l’époque voulant que la femme se sacrifie pour la plus grande gloire de son mari, on peut en dire autant de sa fille Louise, surnommée Lou. Elle a fui ses origines pour échapper à ce pattern avilissant. Trente ans après sa fugue, elle revient avec son conjoint diminué physiquement. Ce retour éclaire davantage l’âme de sa mère. En fait, la haine de Lou envers elle traduit plutôt l’état de fait qui interdit à la femme de s’envoler.

C’est avec sobriété que Christiane Frenette a tracé le drame calme des êtres blessés camouflés derrière les non-dits, trop nombreux hélas pour parvenir à percer l’ambiguïté du fantomatique Thomas. Par contre, la métaphore du chien sourd et aveugle illustre très bien le propos, touchant par moments, que Christiane Frenette a coulé dans un moule très complexe. Le démoulage laisse apparaître une œuvre impressionniste d’une grande délicatesse. Bref, c’est le chef-d’œuvre de l’auteure que l’on peut rapprocher pour certains points de Madame Bovary de Flaubert.