Traité culinaire à l'usage des femmes tristes
de Héctor Abad Faciolince

critiqué par Cyclo, le 1 janvier 2015
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
du couple
Ce n'est pas un roman, mais une suite de petites chroniques où l'auteur veut battre en brèche l'idée du bonheur obligatoire auquel on voudrait en particulier contraindre les femmes : "mais d'où as-tu sorti qu'il est interdit d'être triste ?" écrit-il en s'adressant à une lectrice. Oui, André Gide nous le rappelle dans la phrase citée en exergue, s'il se sent heureux, c'est justement parce qu'il a "connu la tristesse". Donc la tristesse, il n'y a rien de plus normal, surtout que l'amour n'est guère durable : "le plus inoubliable est celui qui n'a jamais été".
L'auteur essaie de donner diverses recettes pour retenir les hommes, volages par tempérament ("ils croient aimer parce qu'ils désirent, mais ils sont inconstants et fuyants après que les femmes leur ont accordé ce que dans une rhétorique de snobs on désigne par l'expression « le don le plus précieux »"), sauf peut-être quand ils sont vieux (la vieillesse, a dit Borges, autre Sud-Américain, "pourrait être le temps de notre bonheur, la bête est morte ou presque, restent l'homme et l'âme").
Parfois ce sont des recettes culinaires, dont une hilarante à base de mammouth. Mais aussi des recettes de bon sens : "Être fidèle à notre compagnon jusque dans nos pensées les plus cachées est non seulement improbable, mais surtout peu recommandable. La santé mentale a besoin d'interstices d'infidélité, d'une soupape de sûreté qui allège le poids trop intense de la vie commune". Et, ma foi, si la femme a succombé à la tentation, surtout qu'elle ne dise rien : "L'homme, comme toi, préfère ignorer une aventure qui n'a été que de passage. Ne le torture pas avec une sincérité et une franchise sans utilité". Bien observé, me semble-t-il. Et ne pas avoir peur de la solitude : d'ailleurs les hommes n'ont-ils pas trouvé dans le travail la cachette idéale pour vivre "sur un rythme plus humain et plus décent. C'est leur façon de pouvoir être seuls sans avoir à dire qu'ils veulent être seuls."
Au fond, nous dit l'auteur, ne cherchons pas à être parfaits, que chacun accepte le vieillissement du corps, que la femme supporte "la désolation effroyable de la vie commune. Il ne te voit plus. Soudain tu es devenue une femme invisible", et surtout qu'elle ne se cantonne pas seule à la cuisine, mais apprenne à son homme à faire un plat pas trop compliqué (très beau chapitre). Et puis, ne pas oublier que prier aussi, ça peut aider. Un très beau livre pour apprendre à vivre ensemble. À déguster à deux ?