Petit traité invitant à la découverte de l'art subtil du go
de Pierre Lusson, Georges Perec, Jacques Roubaud

critiqué par Lucien, le 30 décembre 2003
( - 68 ans)


La note:  étoiles
L'art du vide
Fin des années 60, au moulin d’Andé, un ermitage lové dans une boucle de la Seine. Georges Perec découvre le jeu de GO, qu’il pratique avec ses amis, le mathématicien Jacques Roubaud et le scientifique Pierre Lusson. Ils deviennent, le temps de parties acharnées, les honorables Honinbo Pé-ré-shu, Meijin Ru-bo et Judan Ru-zo, et le jardin de la belle Suzanne Lipinska, égérie de Georges et grande prêtresse du moulin, retentit d’exclamations sonores : « Atari ! », « Shicho ! », « Komatta Na ! »
Les trois compères décident bientôt de faire partager leur passion à la France et rédigent ce « petit traité invitant à la découverte de l’art subtil du GO » qui, puisqu’il faut bien le classer quelque part, prendra place dans la catégorie « vie pratique – guides et dictionnaires », mais qui est aussi une œuvre littéraire à part entière, puisque Perec transformait tout ce qu’il touchait en littérature.
Le jeu : procurez-vous un GO BAN, c’est-à-dire un jeu de GO, damier à 19 lignes verticales et 19 lignes horizontales, soit 361 intersections. Comptez de 25 à 19.000 euros suivant vos moyens. Ajoutez-y 180 pions blancs et 181 pions noirs de matière plastique (compris dans le prix du GO BAN de base), de verre (de 50 à 70 euros) ou, idéalement, de pierre (de 180 à 4.500 euros). Pour protéger vos précieuses pierres, n’hésitez pas à vous offrir deux boîtes quasi sphériques à couvercle vissant, en plastique (20 euros) ou, de préférence, en cognassier ou mûrier (de 350 à 1000 euros). Je me contente pour ma part du GO BAN basique. Vous êtes prêt ? Alors, GO !
La règle du jeu est très simple. Les noirs commencent. « Chaque joueur pose à son tour un pion sur une intersection vacante quelconque et peut passer son tour autant de fois qu’il le désire. On ne déplace les pions que pour les enlever du GO BAN lorsqu’ils sont pris. » Un pion ou un groupe de pions est pris lorsqu’il est privé de toute « liberté » (intersection vide connexe au pion ou au groupe).
Le but du jeu est difficile à saisir pour nos « grossiers esprits occidentaux ». Il s’agit d’« entourer ou de contrôler des intersections vides ». Le gagnant sera donc celui qui contrôlera le maximum de territoire vide avec le minimum de pierres et ce en ayant le moins possible de prisonniers.
C’est tout.
Et tout le reste du livre est un précis de tactique et de stratégie, exemples et exercices à l’appui, où Perec et ses amis disent au passage tout le mal qu’ils pensent des échecs (« jeu féodal, fondé sur l’Exaltation du Tournoi et de l’inégalité sociale ») tout en situant le GO dans l’histoire, la géographie, la littérature, les arts. Sans s’interdire force jeux de mots, du genre :
« L’art du joueur trop nerveux, c’est le GO-tic. »
« Il est atteint d’un petit GO… »
On le voit, le calembour rejoint une nouvelle fois le sérieux dans cet ouvrage où Perec exprime aussi la portée presque philosophique qu’il attribue au jeu :
« Il n’existe qu’une seule activité à laquelle puisse raisonnablement se comparer le GO. On aura compris que c’est l’écriture. »
Pour le paraphraser, oserons-nous écrire : « Il n’existe qu’une seule activité à laquelle puisse raisonnablement se comparer le GO. On aura compris que c’est la vie. » La vie qui se résume somme toute à cette simple règle : poser ses pions tant bien que mal pour ne cerner que du vide.