Le dynamiteur
de Robert Louis Stevenson

critiqué par Débézed, le 21 décembre 2014
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Pari Illusionniste
La lecture de ce texte de Stenvenson me laisse assez perplexe et je ne semble pas être le seul dans ce cas, en effet, certains parlent de recueil de nouvelles, d’autres d’une trilogie de récits, …, pour ma part je parlerais plutôt d’un récit, comme une ébauche de roman, composé de plusieurs parties plus ou moins disparates mais tout de même réunies dans un même objectif littéraire. L’édition que je possède comporte une sorte de préambule de Dominique Fernandez que j’apprécie globalement mais je ne suis pas d’accord sur tout ce qu’il avance, ou plutôt, j’ajouterais certaines choses qu’il n’évoque pas. Pour plus de clarté, je voudrais reprendre l’histoire de texte, en 1883 Stevenson malade est à Hyères avec sa femme qui lui raconte chaque matin une histoire digne des « Mille et une nuits ». Rentrés en Angleterre en 1885, à court d’argent, ils décident de reprendre ces récits et d’en faire un ouvrage qui paraîtra en 1885. Le résultat est assez étonnant, et même surprenant, il faudrait, dans un creuset, mixer l’imagination de Ponson du Terrail, Villers de l’Isle-Adam et Le Fanu, pour reproduire le texte dans son intégralité. Le risque dans un tel projet est d’accoucher d’un texte hétéroclite, rocambolesque, manquant de cohérence, il faut tout l’art de Stevenson pour donner un semblant de crédibilité et de cohésion à cet assemblage audacieux.

Dans une taverne de Londres trois amis, tout aussi désargentés, se rencontrent et décident de se jeter dans la première aventure venue pour provoquer dame fortune. Challoner rencontre, dans des circonstances étonnantes et détonantes, une jeune femme qui lui raconte le parcours époustouflant qu’elle a dû accomplir pour arriver à Londres en essayant d’échapper aux Mormons qui la poursuivent depuis que ses parents ont voulu quitter l’Utah. Somerset est séduit par une vieille femme encore élégante qui lui prête son hôtel pendant son absence, il y rencontre d’étranges personnages aux activités apparemment louches. Desborough quant lui tombe sous le charme de sa nouvelle voisine qui lui raconte l’épopée extraordinaire qu’elle a accomplie pour s’évader de Cuba et rejoindre l’Angleterre avec une cassette de pierres précieuses que lui contestent d’autres héritiers de son mari. Ces histoires sont bien évidemment absolument incroyables, impossibles, impensables mais nos braves citoyens plongent tout de même dedans avec une grande naïveté qu’ils comprendront quand, un beau jour, ils se retrouveront dans le même bar avec la conteuse d’histoire qui les a embobinés pour, grâce au talent de l’auteur, réunir ces aventures rocambolesques en une histoire plus plausible.

Dominique Fernandes voit dans ce livre la transition entre le roman policier et le roman d‘investigation et aussi l’inspiration d’auteurs comme Conrad qui ont fait vivre les grands espaces. J’ai pour ma part une autre lecture qui ne remet en rien en cause l’étude des personnages faites par Dominique Fernandes. Mon assiduité littéraire m’a conduit, il y a quelques années, à la découverte des illusionnistes, plus particulièrement de Villiers de l’Isle-Adam et de Georges Rodenbach, après avoir lu « L’Eve future » et « Bruges la Morte », j’ai eu la très nette impression qu’il existe des liens évidents entre ces deux romans et « Le dynamiteur ». On retrouve dans les trois textes ce goût de l’illusion, de faire vivre des personnages fictifs pour se donner, ou simplement donner, l’illusion qu’ils existent réellement : la femme idéale désirée, la femme disparue qui revit sous les traits d’un sosie et, dans « Le dynamiteur » toute une galerie de personnages grimés, déguisés, transfigurés, travestis, pour tromper nos pauvres bougres et l’ensemble de la société qui les entoure. « Le dynamiteur » a été publié en 1885, « L’Eve future » en 1886 et « Bruges la morte » en 1892, ma théorie pourrait tenir debout et mes lectures m’inclinent à penser qu’il y un lien réel entre ces trois œuvres qui jouent sur l’illusion pour construire leur intrigue et inviter le lecteur à se méfier des apparences de la vie qui peuvent masquer des réalités parfois bien différentes de ce qu’on voit.

Il y a bien d‘autres choses à retirer de cet amas d’aventures « abracadabrantesques » mais je laisserai les lecteurs suivants en parler, je me contenterai de souligner son extrême proximité avec l’actualité que nous connaissons, marquée par l’horreur des bombes qui explosent au hasard massacrant des innocents et notamment des enfants. A ce sujet, Robert Louis Stevenson propose un dialogue surréaliste entre le dynamiteur et celui qui veut le raisonner en lui faisant comprendre l’ignominie de son geste tout en se heurtant au cynisme le plus froid, un cynisme que ne renieraient certainement pas les dynamiteurs actuels.