Le buveur de lune
de Göran Tunström

critiqué par Libris québécis, le 23 décembre 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Les relations d'un Islandais avec son fils
Dans Le Buveur de lune, Göran Tunström raconte la vie d'un Islandais en choisissant son fils Pétur comme narrateur. Ce dernier décide de faire le récit de la vie de son père après sa mort. Un père-mère, comme il dit, qui l'a nourri «de confiture de raisin de corneilles et de flans à base de gelée de lichen».
Les protagonistes vivent en Islande, une terre ingrate, mais où le serpolet brille. On y est heureux surtout parce que l'on se sent comme «des particules à l'intérieur d'un rêve cosmique». Le père est d'une grande bonté pour son fils parce qu'en ce pays, on ne possède pas «d'autre aristocratie que les enfants». Ce père optimiste est un homme cultivé, mais c'est surtout un homme qui vit en harmonie avec la nature parce qu'il croit que la vie est «une constructuction mouvante au sein d'une dimension autre que celle dans laquelle nous croyons vivre.»
L'enfant mène une vie onirique avec ce père qui lève les bras vers la lune pour recueillir le lait qui en tombe. Ce dernier cherche en toute chose la rencontre idéale. «Chaque rencontre est un espoir.» L'espoir de rencontrer le «Toi absolu», la femme qui viendra donner à la vie «son sens profond, son sens absolu». Il recherche cette relation humaine enrichie par une magie qui lui donnerait une force comme la chaleur qui cause l'éruption volcanique. C'est une quête romantique pour un homme qui a si peu connu sa femme.
Cette relation harmonieuse avec le père ne peut durer. Adulte, Pétur devient le représentant de son pays à travers le monde pour vendre les produits de la pêche, principale ressource de l'économie nationale. Il répond de moins en moins aux lettres de son père, prolongeant même ses séjours à l'étranger. Un jour, en France, il revoit une femme que jadis il avait connu en Islande comme la fillette du consul de ce pays. Il se rappelle l'incident du ballon que son père lui avait donné. Ce dernier s'était retrouvé dans la cour du consulat. En allant le réclamer, on lui avait bêtement répondu : «Ce ballon est la propriété de l'État français.» Même l'intercession du père ne parvint pas à ramollir le coeur du consul. Quelle humiliation pour un homme dont le pays vient d'accéder à l'indépendance ! Le fils a l'occasion rêvé de venger son père. La rencontre de cette femme deviendra celle du Toi absolu. Le fils recouvrera son ballon en la personne de la fille du consul. Ainsi l'honneur sera vengé comme dans Le Cid de Corneille.
Tunström traduit nos rêves et nos angoisses. Il nous les dévoile à travers un art concret, empreint d'espièglerie. Si son oeuvre peut paraître ésotérique, elle n'en reste pas moins une oeuvre incarnée, sensible à la finitude de la vie.