Sang des fleurs : Mythologie de l'abeille et du miel
de Gilles Tétart

critiqué par Fotso, le 14 décembre 2014
( - 48 ans)


La note:  étoiles
Des mites dans les mythes !
Un titre ne pouvait pas mieux être approprié à cet ouvrage. Mais quel ouvrage ? Il est plus exact de le nommer synthèse structurée et animée, c'est-à-dire "thèse".
En effet, cet ouvrage est une thèse réalisée par Gilles Tétart sous la direction de Françoise Héritier, émettrice de la préface. Gilles Tétart la défendit en 2001 dans le cadre d'un doctorat en Anthropologie sociale et ethnologie à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris.
Selon moi, il est important d'appuyer sur ces détails qualificatifs et d'ordre contextuel car le regard et donc le jugement que l'on peut y apporter en tant que lecteur s'en trouvent modifiés fortement.
J'apprécie, tout particulièrement, la préface : Françoise Héritier a magistralement et d'une façon extrêmement adroite, honnête et délicate préparé le lecteur. Et c'est justement ce que l'on demande à une préface.
Une des premières choses qui m'ont frappé est de voir l'emploi à de très nombreuses reprises des termes suivants : "Les Grecs", "L'antiquité Grecque", "le monde Hellénique" ; Je devine qu'il désigne la "civilisation globale" postérieure à l'implantation Dorienne, et au travers notamment de "l'histoire officielle et autorisée" de Hésiode et de la réécriture personnelle de certains mythes au sein de sa "Théogonie". Cette restriction équivaut, pour moi, à amputation majeure par rapport à cette période complexe et s'étirant sur plusieurs siècles qui a vu se développer plus d'une cosmogonie et mythologie depuis les pélasges jusqu'aux athéniens décadents en passant par les minoens. Je sais que beaucoup d'entre vous ne considèrent pas les minoens comme des grecs. Une simple question : les bretons sont-ils français ? Ont-ils participé à l'élaboration d'une "culture française" considérée comme collective (et dotée de cohésion) aujourd'hui ?
J'aurais aimé voir plus de réserve dans beaucoup d'affirmations, le lecteur aurait eu un réel bénéfice à voir d'autres pistes au moins suggérées sinon précisées. Un caractère péremptoire que je mets généreusement sur le compte des contraintes d'émission de cette thèse.
La question essentielle que je me pose, du début à la fin de ma lecture de ce livre est simple et sa violence n'est adoucie que par une honnêteté obligée : Quelle est la substance retirée de ce livre ? Quel bénéfice philosophique puis-je en tirer ? Quelle étincelle pourrait transformer un éventuel miasme personnel en brise d'été lumineuse et révélatrice ? Cette question reste, même après lecture, sans réponse.
Le fait que le miel est une excrétion orale d'un insecte de la famille des Hyménoptères, je le savais déjà.
J'aurais aimé voir par contre préciser l'origine multiple du miel. En effet, les excréments liquides riches en sucres et en acides aminés de certains Homoptères (pucerons et cochenilles, par exemple) sont récupérés par les abeilles directement et sont, au cours de cette opération, renommés "miellat". Si l'on précise que ces excrétions sont le résultat digestif d'une absorption de substances végétales (sève) par ces mêmes Homoptères, je suis d'accord avec la version de Gilles Tétart selon laquelle le miel est fondamentalement d'origine végétale. Néanmoins, tous les biologistes savent que de nombreux composés organiques complexes d'origine entomologique sont présents dans le miel et participent de façon très importante aux propriétés connues de ce produit.
J'aurais aimé voir se détailler des éléments un peu plus scientifiques et précis. Par exemple, il aurait été très intéressant de préciser la nature et les rapports des glucides dans le miel (glucose, fructose, saccharose) et leur origine. Tout le monde sait que les rapports entre ces glucides déterminent sa texture, ses qualités organoleptiques. De plus, au niveau symbolique, cela aurait été du pain béni de rappeler la seule partie de l'être humain qui contient (sauf handicap) du fructose, ce glucide si rare dans le règne animal.
Un grand nombre de mythes sont repris, du moins dans leurs versions officielles et "autorisées", dans cet ouvrage. Du mythe de la mutilation d'Ouranos jusqu'à la Bougonie en passant par la chasteté d'Artémis et La Génèse. Un mélange qui peut paraître à certains moments tournoyant et générateur d'interrogations perplexes. Cependant, une logique est toujours suivie, dans les raisonnements avancés, aussi alambiqués qu'ils puissent paraître.
Je remarque, avec joie, tout de même, de temps à autre, une ouverture sur d'autres "visions" du monde : par exemple une citation de l'Atharva Véda, en introduction du chapitre 7. Mais, comme l'avertit fort bien la préface, Gilles Tétart se positionne en un cantonnement voulu, assumé et voire obligé dans un référent Gréco-Européen classique.
Une des phrases que je retiens, par-dessus toutes les autres, page 209 : « C'est dans l'idée de la maximisation, voire du dépassement des ressources physiques et mentales normales de l'homme que réside l'efficacité symbolique du discours sur le miel. Le thème des propriétés éminemment régénérantes du miel, de la gelée royale, du pollen ou de la propolis. En somme, les produits de la ruche influent sur les fonctions nobles du corps humain : volonté, force morale, humeur, entendement, mémoire, etc. ['] Conjointe à la vitalité physique, la perspective de capacités intellectuelles accrues fait partie de l'idéal de la santé parfaite. »
Vie, force, santé, ce sont les attributs des Pharaons.
J'apprécie hautement la lecture de ce livre qui m'a permis de deviner l'immensité de tout ce qu'il faudrait ajouter à ce contenu déjà copieux.
Je recommande tout particulièrement cet ouvrage aux historiens, anthropologues, sociologues. Je considère par contre qu'il ne peut être intéressant aux apiculteurs que dans un cadre philosophique et décalé. Vous ne découvrirez pas comment fonctionne une abeille ni comment elle extrait son miel dans cet ouvrage qui n'en a par ailleurs, j'ose le croire, aucunement la prétention.
J'espère que vous serez, tout autant que je l'ai été, "aiguillonné(e)" à la lecture de cette thèse.