L'oeil de l'histoire : Tome 4, Peuples exposés, peuples figurants
de Georges Didi-Huberman

critiqué par Alouette, le 12 décembre 2014
(Seine Saint Denis - 38 ans)


La note:  étoiles
Devant les images des peuples qui nous regardent
Avec le quatrième volume de la série L’Œil de l’histoire intitulé Peuples exposés, peuples figurants, Georges Didi-Huberman problématise à l’heure de la multiplicité des formes médiatiques de représentation et de figuration la question autant esthétique que politique de l’exposition des peuples. Cela à partir de ce premier paradoxe qui n’est seulement qu’apparent : l’exposition des peuples est celle de leur possible disparition, divisés qu’ils sont entre une surexposition établie sur un mode marchand et spectaculaire et d’autre part une sous-exposition trahissant des formes plus ou moins directes de censure économique ou politique. Autant les images peuvent manquer quand elles ne documentent pas le tort historique subi par telle population particulière, autant la surchauffe des visibilités médiatiques peut induire et répéter des représentations biaisées, stéréotypées et figées. Dans un ordre d’idées approchant, le droit à l’image ne cesse d’être exhibé alors même que l’image apparaît divisée entre ses propriétaires soucieux du pouvoir lucratif qu’elle leur donne avec leur appropriation et les communautés populaires expropriées de toute image dès lors qu’elles sont soumises à la terreur de certains pouvoirs militaires. Les lieux communs (l’appel au « peuple » abstrait des démagogues et les « people » des franges les plus commerciales des médias) règnent et leur joug ne s’établit qu’en rapport structurel avec l’évanouissement planifié des lieux visibles et sensibles où s’institue le commun. Autrement dit la commune humanité des peuples, aussi singuliers soient-ils.

Dans le fragile intervalle des logiques dominantes présidant à la surexposition comme à la sous-exposition des peuples exclus du visible ou bien trahis dans des représentations qu’ils ne maîtrisent pas, apparaissent ou sont apparues des œuvres photographiques (Philippe Bazin) et cinématographiques (Roberto Rossellini, Pier Paolo Pasolini et Wang Bing) ayant à cœur de restituer la contre-histoire des « sans-noms » (Walter Benjamin) ou des « sans-parts » (Jacques Rancière) dont les visages manifestent des « parcelles d’humanité » (Hannah Arendt) vouées à la disparition ou à l’oubli. C’est pourquoi la question des figurants, si minoritaire dans l’économie industrielle du cinéma, est pourtant si importante quand il s’agit de raconter « à rebrousse-poil » (Walter Benjamin) l’histoire du cinéma depuis l’inaugural La Sortie des usines Lumière (1895) jusqu’aux grands chefs-d’œuvre du néoréalisme italien.