L'Oedipe noir : Des nourrices et des mères
de Rita Laura Segato

critiqué par Alouette, le 9 décembre 2014
(Seine Saint Denis - 38 ans)


La note:  étoiles
Des nourrices et des mères
Il aura fallu sept années pour que le livre de l’anthropologue et féministe d’origine argentine, Rita Laura Segato, soit traduit et édité en France. Espérons que l’attente sera moins longue pour la publication de ses autres écrits. Cette universitaire qui milite au Brésil pour les droits ethniques propose dans cet ouvrage de démontrer les contradictions de la société sud-américaine, plus particulièrement la société brésilienne.

Pourtant, dans la préface écrite à l’occasion de cette édition, Pascale Molinier explique que le titre original du texte, L’Œdipe brésilien, a été changé en accord avec l’auteure elle-même car certaines idées expliquées dans l’ouvrage sont universelles et concernent aussi bien la mère blanche brésilienne que la bourgeoise blanche parisienne dans ses rapports avec la nourrice noire de son enfant. L’Oedipe noir est ainsi une construction propre aux sociétés coloniales et post-coloniales.

La psychologue rappelle que la notion de maternité est une invention très récente, ce que décrit aussi Elisabeth Badinter dans son ouvrage, L'Amour en plus : histoire de l'amour maternel (XVIIe au XXesiècle) édité pour la première fois en 1980. En effet, le monde de la médecine a poussé les mères à s’occuper davantage de leur progéniture. Les mères deviennent donc des Mères : elles sont considérées comme indispensables au bon développement de l’enfant jusqu’à leur assujettissement. Ce modèle dominant est donc à remettre en cause.

De ce fait, comme les sociétés actuelles poussent les femmes à assumer complètement l’éducation des enfants ainsi qu’un autre travail (extérieur au domicile familial et rémunéré), elles sont dans l’obligation d’embaucher des nourrices (pour la plupart issues des anciennes colonies), mais sans se rendre qu’elles introduisent la politique dans leur foyer ainsi que dans la psyché de leur enfant. Elles se basent sur des critères racistes pour choisir leurs employées (ces qualités ethniques présupposées comme la douceur reconnue des nourrices africaines à partir du stéréotype de la mama du film Autant en emporte le vent). Par extension, les nourrices sont « altérisées » dans le but de ne jamais prendre la place des mères dites biologiques. Cette situation, Pascale Molinier la nomme « capitalisme émotionnel » en conséquence duquel l’enfant oubliera l’existence de sa nounou en grandissant.

Un livre à lire absolument....