Le mal que l'on se fait de Christophe Fourvel

Le mal que l'on se fait de Christophe Fourvel

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Sissi, le 23 octobre 2014 (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 53 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 084ème position).
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Comme un puzzle...

Le titre porte en lui-même une espèce d’ambiguïté ; en effet, de quel mal s’agit-il ? Celui que l’on se fait à soi-même, ou bien celui que l’on se fait mutuellement ?
Et cette ambiguïté, esquissée dans le titre même, va se poursuivre tout au fil du texte, qui est construit (et ce, magistralement) à la manière d’un puzzle que le lecteur va reconstituer au fil des pages.
Il n’est d’ailleurs pas anodin que figure sur la couverture un tableau intitulé « Construccion » (de Torres Garcia), ce même tableau dont le personnage principal achètera une reproduction…sous forme de puzzle.
Ce personnage principal, c’est un homme, dont on ne connaîtra pas le nom, qui arrive dans la première partie dans une ville d’Amérique latine, sans nom elle aussi, pour y passer trois mois.

Au début, nous sommes tellement
Etranger à nous même
Que c’est comme si quelqu’un d’autre
Racontait votre propre histoire.

est-il écrit avant d’entamer ce premier pan de l’histoire qui n’en est pas une. Relaté à la troisième personne par un narrateur assez neutre –cet autre qui raconte quand on ne le peut soi-même- le séjour, ou tout du moins ce qui l’a motivé, reste mystérieux.
Composée de courts chapitres numérotés en chiffres romains, eux-mêmes subdivisés en courts paragraphes, cette première partie évoque la vie qui s’écoule au gré des exercices de gymnastiques quotidiens, des cafés bus en terrasse, des promenades, des cours de tango et des difficiles traductions de poèmes.
Tout au plus nous dit-on à demi mots que l’homme éprouve du chagrin, qu’il est là à cause d’un très vieux livre japonais pourtant mal lu, et que le temps imparti au voyageur est compté.
Néanmoins, à travers l’écriture sèche et sobre qui retranscrit le détachement désabusé du personnage, une absence de lyrisme, d’emphase, qui corrobore l’absence de joie, et grâce à quelques réminiscences et bribes de passé évoqués, on pressent bien que ce voyage est comme un passage obligé dans un parcours forcément jalonné par un drame.
On a assemblé les contours du puzzle. Une vague idée, ou sensation, prend forme.

Ce fut l’un des instants dans la vie
Où le temps non seulement s’arrête
Mais cesse tout bonnement d’exister

introduit la deuxième partie, plus courte que la première, et qui se déroule dans une autre partie du monde, dans une ville musulmane avec des noms aux sonorités turques.
Le « tu » remplace le « il », l’homme s’adresse à présent à lui-même, comme s’il commençait à se récupérer et à progresser dans ce qui ressemble à une quête spirituelle, même s’il continue à effectuer les mêmes gestes de manière répétitive, « tous ces gestes de remblayage » qui laissent encore du temps, celui de la lecture et des souvenirs, qui se font plus présents tout en restant confus.
L’homme attend, beaucoup. Il essaie de se nourrir de la ville, se s’emplir d’elle, puis, une fois encore, il s’en va.
L’esquisse s’est affinée, même si l’on reste avec l’esprit quelque peu dispersé.

Il revient en France, à Marseille, où il va faire ce qu’il a à faire et qu’il ne pouvait faire avant.
Un homme ne peut pas grand chose
Il accomplit de petits pas.

C’est l’ultime introduction à l’ultime partie, la plus courte car moins il manque de pièces à mettre dans un puzzle plus on voit vite ce qu’il représente dès qu'on en rajoute une supplémentaire.
Le rythme s’accélère et rapidement tout s’éclaire.
Le « tu » devient sommairement « je », alors on appose la dernière pièce du puzzle et on entrevoit, enfin très nettement, la vérité dans son dramatique ensemble.

« Le puzzle est achevé sur le petit bureau de sa chambre. Le poisson rouge et blanc flotte au –dessus des maisons humbles de la ville et d’un bateau blanc, rouge, bleu, jaune et noir. Les couleurs happent son attention comme des êtres oubliés. Elles recèlent quelque chose d’infiniment heureux comme dans les peintures de Picasso, et Miro, et d’autres dont il a oublié le nom. Et pourtant il sait les artistes dépressifs. Dépressifs et joyeux. La formule renferme, à l’instant, le même mystère que les pigments de couleur franche du tableau. »

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8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 21 août 2015

Avec un texte fait de courts chapitres écrits dans une langue très littéraire, dépouillée, précise, concise, soignée, académique et élégante, Christophe Fourvel entraîne ses lecteurs à la suite d’un personnage dont il ne dit rien, dans un voyage très énigmatique. On comprend seulement que cet individu n’a pas quitté son domicile et son pays pour de simples vacances mais qu’il a entrepris un long périple pour fuir quelque chose ou, au contraire, chercher quelque chose. Étonnamment ce personnage ne fait rien qui puisse dévoiler ses intentions, il mène une vie solitaire, fréquente peu de monde et connait dès son arrivée la durée de son séjour. Il débarque ainsi dans une ville non nommée, apparemment une ville d’Amérique du sud, on apprend plus tard qu’elle se situe à 11 000 km de son lieu de naissance en France, une ville qui pourrait être Buenos Aires d’après le nom des places, des rues, des lieux principaux et de l’importance du tango. Un personnage qui semble en reconstruction, un personnage qui aurait fui un monde pour commencer une nouvelle vie. Il raconte sa prise de contact avec cette ville, ses faits et gestes réduits au minimum comme son texte, et les quelques contacts qu’il noue avec les autochtones.

Ses habitudes n’ont pas le temps de l’ancrer dans la société locale, il part déjà pour sa seconde destination, le Proche Orient où il souhaite effectuer un séjour bien délimité, trois mois, dans une ville qu’il ne nomme pas mais qui est sans conteste possible Istamboul, on peut facilement l’identifier à travers le nom des quartiers, des ponts, des monuments, … qu'il cite abondamment. A la fin de son séjour, il rompt avec les quelques habitudes qu’il a prises pour rejoindre son port d’attache, le lieu qu’il a fui pour affronter son passé et les événements qui l’ont jeté sur la route pour effectuer ses deux voyages en forme de séjours expiatoires, d’acte de contrition, de motif de renaissance. « Il arrive un jour où l’étranger finit par partager des secrets avec la ville qui l’accueille ». « Il arrive un jour où l’étranger parle avec la ville qui l’a fait étranger. »

Ecrite à la deuxième personne du singulier, la deuxième partie, apporte encore plus de force au texte, elle sonne comme une interpellation, comme une injonction, comme une incantation, comme si le narrateur s’interpelait lui-même mettant ainsi une distance entre lui et le héros de cette histoire qu’il est. Littérairement, j’ai beaucoup apprécié ce texte, sa construction, il tient le lecteur en haleine jusqu’au dénouement qui, hélas, m’a moins enchanté. Je regrette que l’auteur ait choisi des événements par trop banalisés par l’actualité, des marronniers de la presse, pour expliquer l’intrigue qui a jeté le héros sur la route. La qualité du texte, la finesse de l’auteur et sa créativité littéraire me laissaient espérer une issue moins banale. Mais, peu importe l’histoire, c’est la démarche littéraire qui prime et elle est, à mon sens, excellente.

Ce texte est aussi une réflexion sur la culpabilité, le pardon, l’expiation, la rédemption, la fuite et aussi sur l’acceptation et la résilience.

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