Parents et amis sont invités à y assister de Hervé Bouchard

Parents et amis sont invités à y assister de Hervé Bouchard

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 10 octobre 2014 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 10 étoiles
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Comme Job sur son tas de fumier

Hervé Bouchard esquisse le portrait d'une famille du Lac Saint-Jean, chamboulée par la mort subite d'un père qui laisse dans le deuil une femme et six enfants, tous des garçons. Tragédie qui désorganise un clan animé de la parole paternelle. « Il était capable de dire les choses d'alentour et de les faire bouger avec son air d'aimer les déplacer en les décrivant. Nous étions à l'étroit, mais il ouvrait la bouche et nous emmenait avec lui où on manquait pas d'air et où on se cognait nulle part. »

Cette œuvre singulière, issue d'aucun genre en particulier, plonge au cœur d'un drame qui se résout alors que chacun trouve la convergence salvatrice. Tâche difficile puisque les enfants sont dispersés chez des tantes qui ont pris la relève de la mère, sonnée par la disparition de son mari. On y parvient en détournant « le regard d'autres par leurs oreilles qu'on occupe le temps que l'être qu'ils ont au centre leur apparaisse et s'ouvre en parlant. » La communication sert donc de thérapie pour reconstruire les assises de cette famille en manque de filiation. Manque grave à l'origine du suicide du benjamin, désireux de retrouver son père. En montrant ainsi la face cachée de ce qu'ils sont, ils resserrent la fratrie sur un terreau qui leur fait dire qu'ils n'auraient pu vivre ailleurs avec « l'usine au large de leur regard dans un voile de fumée qui sentait, la poussière en gris pâle, l'asphalte conjugué en mou, les poteaux gros de créosote, les murs en brique teintée en trente, les escaliers premiers du nom, des corneilles bleues, des moineaux à motifs... des érables à hélices, des saules en phase brune, des peupliers prêts à neiger, des ormes à bras, des sorbiers portant grappes, des pommetiers en pleurs, des cerisiers à romances.... »

Cette parole thérapeutique renvoie à la possession du corps, instrument de connaissance de soi, comme l'avait déjà démontré Élise Turcotte dans La Maison étrangère, roman inspiré de l'esprit du Moyen Âge qui considérait notre enveloppe charnelle comme le chemin vers autrui, et même vers Dieu tel que le prouvent les fresques de la chapelle Sixtine. Par contre, Hervé Bouchard valorise plutôt le corps pour ses fonctions d'évacuation. L'intimité des actes qui en découlent prend des proportions obsessionnelles comme dans le film Léolo. Ce volet scatologique stigmatise notre appartenance à une humanité déchue à travers la symbolique des fèces, traduite en termes vulgaires.

Comme Job sur son tas de fumier, l'orphéon des endeuillés clament leurs doléances afin de se réapproprier une famille privée de son âme. Leurs chants, aussi sacrilèges que les Versets sataniques de Salmon Rushdie avec les « Hosties de Christ » pour désigner l'eucharistie, célèbrent la parole structurante. Hormis la vulgarité et l'irrévérence, cette œuvre brillante, mais déstabilisante par l'illustration intellectuelle de sa thématique, rappelle l'écriture des penseurs du XV1e et du XV11e siècle, revisitée parfois par le groupe hip-hop des Loca Locass : « S'ils sont sans char (auto), ce sont des chiens, des chiens sans char dans leur maison sans horizon. »

Bref, ce chef-d'œuvre risque de faire uniquement partie des lectures obligatoires des étudiants ou des lectures des intellectuels.

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