Des voix parmi les ombres
de Karel Schoeman

critiqué par TRIEB, le 9 octobre 2014
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 72 ans)


La note:  étoiles
LA GUERRE DES BOERS,CETTE DOULEUR...
La guerre des Boers, comme événement historique, est peu connue. Elle est pourtant l’un des épisodes majeurs de l’histoire contemporaine de l’Afrique du Sud, renforçant l’identité Afrikaner et le souvenir de la répression exercée par les Britanniques à l’encontre des insurgés Boers.

Le roman de Karel Schoeman, sans entrer dans le détail du déroulement du conflit, sans décrire explicitement ses causes, nous invite à plonger notre regard dans la société sud-africaine coloniale de cette fin du XIXe siècle : le lieu principal est Fouriesfontein, une petite ville de la colonie du Cap, composée de colons d’origine britannique, néerlandaise, et des noirs, indiens et métis. Trois personnages vont exprimer, à tour de rôle, leurs sensations, leurs souvenirs, leurs places dans cette ville de Fouriesfontein, ville représentant une Afrique du Sud en miniature. Le premier récit, celui de Kallie, jeune clerc boiteux, est explicite d’entrée. Ce jeune homme, nommé J.J.K. Kleynhans, se remémore le jour où la guerre a, pour lui, commencé : « Cela, je m’en souviens, de cette belle journée ensoleillée, et de la poussière, des drapeaux, de la musique et de l’excitation qui régnait dans notre petite ville où tous les habitants fêtaient ensemble la libération de Mafeking. Presque tous. »
Kallie livre aussi son sentiment après le départ de l’un des magistrats de la commune, M. Macalister, et le retour des soldats anglais venus libérer ce territoire occupé par les insurgés Boers ; il témoigne du meurtre d’un jeune métis, Adam Balie, assassiné par un commando de jeunes Boers à l’occasion de représailles : « Je ne pouvais rien faire, de toute façon, il était mort, les Boers étaient partis(…) et M.Macalister était à Beaufort. »
Un autre personnage participant à cette confession, mademoiselle Goby, fille d’un médecin de la ville, avoue, elle aussi, l’état des sentiments provoqués par la guerre, peu après sa fin : « Mais les divisions entre nous étaient déjà perceptibles (…) la haine, la rancœur et l’amertume affleuraient à la surface sous le cours apparemment paisible de nos vies. » Ce qui frappe dans le roman de Karel Schoeman, c’est cette capacité à éclairer les conflits entre communautés par les aspects les plus quotidiens de la vie de cette époque : les quartiers réservés aux métis, l’entre-soi social, familial, communautaire. Le rôle de l’église protestante, admirablement illustré par ce pasteur Boodryck, l’importance des notables, tels que cette famille Fourie, dont le dernier descendant mourra pendant cette guerre des Boers.

Nous retiendrons également le portrait de ce jeune entrepreneur métis, Adam Balie, désireux de s’élever, d’apprendre, pour accéder à une égalité refusée par le système colonial. Un beau portrait panoramique de cette Afrique du Sud, à l’orée du XXe siècle, tout en nuances et qui échappe au piège de la caricature et du réquisitoire a posteriori.