Ruelle Océan
de Rachel Leclerc

critiqué par Libris québécis, le 25 septembre 2014
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Du sel dans le sang
Plusieurs auteurs ont raconté le déchirement vécu par ceux qui ont quitté la Gaspésie, une région accolée à la mer. Rachel Leclerc évoque elle aussi dans Ruelle Océan la problématique d'un veuf et de sa fille venus s’installer dans l’arrondissement Hochelaga, un quartier défavorisé de Montréal.

Infirmière de métier, l'héroïne habite à l'étage d'une maison occupée au rez-de-chaussée par son père. Diminué par un infarctus, ce dernier a transformé la cour en bric-à-brac pour oublier le bruit de l'océan que lui rappelle douloureusement celui de la circulation de la rue Papineau. Parfois, « il vient trôner dans son royaume de pacotille, arpentant l'édifice en ruine de son humanité ». Quand on a carburé toute sa vie à l'eau de mer, il est bien difficile d'apaiser sa soif avec les effluves du monoxyde de carbone. Ce déracinement rime avec déchéance. Son père n'est pas l'unique miséreux du quartier. La population de l'arrondissement est formée d'un ramassis de tous les perdants à la loterie de la vie. L'empathie pousse donc l'héroïne à couvrir de baume les plaies de ces gens qu'elle soigne dans un CLSC (clinique).

Si l'auteure souligne les conditions défavorables des habitants blottis aux abords du pont Jacques-Cartier, elle analyse aussi les circonstances entourant le destin de son héroïne, marqué par l'absence de la mère. Élevée par un père sévère, elle s'initiera à l'amour avec un auto-stoppeur en route vers la Gaspésie. Mais quand l'être aimé est un noir, il ne faut pas compter sur l'aval paternel. Son père n'a pas su l'accompagner vraiment sur le chemin de la vie. Comment reconnaîtra-t-elle alors sa filiation?

Malgré ces précisions, l'amont est mal alimenté. L'auteure a plutôt choisi l'angle de la misère humaine, en passant sous silence ce qui a mené les personnages à fuir le chant de la mer pour celui de la ville. Avec une écriture fine et poétique, ce roman fait surtout appel à la générosité pour lénifier les blessures de l’existence.