Stefan Zweig : L'ami blessé
de Dominique Bona

critiqué par Veneziano, le 20 septembre 2014
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Un auteur élégant et tourmenté
Cet auteur populaire pour d'excellentes méritait une biographie aussi synthétique que claire, ses lectrices et lecteurs également. Ils y découvrent le parcours complexe de cet auteur aussi élégant que tourmenté. Cet Autrichien juif connaît l'humiliation de son Empire, dont le territoire est réduit aux acquêts, la montée du nazisme et la menace, réalisée d'annexion par l'Allemagne. Il fuit l'Europe pour l'Amérique du sud. Si l'Argentine ne luit plaît que modérément, c'est au Brésil qu'il s'installe, à Rio de Janeiro, qu'il trouve superbe, puis à Petropolis, plus calme, où il finit par se donner la mort, ne supportant pas sa condition d'exilé errant.

Bien évidemment, il est décrit l'homme et sa création littéraire. Distingué, raffiné, son apparence est élégante. Il est même séduisant, et plaît aux femmes, mais tarde à se lier. Il connaît une suite d'aventures, qui le font presque passer pour un séducteur invétéré (je grossis, mais à peine). Puis, il connaît Lotte, d'origine aristocrate, qui tombe en quasi-dévotion pour lui. Ils s'entendent pas, mais l'intégration du couple n'est pas totale : il demeure un solitaire, assez sauvage, et la délaisse quelque peu.
Il s'avère que le féminin l'intrigue, il en étudie la psychologie, pour la restituer merveilleusement, comme l'ensemble de ses nouvelles et son roman La Pitié dangereuse en témoignent continuellement. Mais il ne se montre pas sans crainte envers la personnalité féminine.

Je n'en précise pas plus, pour ne pas déflorer trop de ce livre. Ce dernier s'avère descriptif en la forme, mais montre bien l'élégance d'esprit et la forte indépendance de caractère de cet écrivain qui a marqué le XXème siècle et la littérature en général. Les caractéristiques générales de l'oeuvre apparaissent, en filigrane, puis de manière de plus en plus précise, au fil de la création de ses oeuvres, donc essentiellement des nouvelles, mais aussi des biographies historiques.
Voilà donc un ouvrage qui me paraît utile.
Nostalgique d’une Europe Grande, Ouverte et Fraternelle 8 étoiles

La Vienne frivole et sophistiquée de la Belle Epoque est la capitale de l’empire des Habsbourg finissant qui a vu naître et grandir le second fils d’une famille juive aisée, Stefan Zweig. Destiné à devenir un grand écrivain comme nouvelliste et comme biographe de héros méconnus, curieux du monde, voué à l’amitié, humaniste cultivé porté par un sentiment inné de l’universel, maîtrisant le français, l’anglais, l’italien en plus de l’allemand il s’épanouit dans l’espace quasiment sans frontière des intellectuels et des artistes littéraires aussi bien que musicaux. Rainer Maria Rilke, Romain Rolland, Jules Romains, Gustav Mahler et bien d’autres feront partie de son cercle rapproché.
Une enfance morne sans tendresse, une scolarité ennuyeuse, un diplôme universitaire pour faire plaisir aux parents, le voici à 20 ans renonçant à gagner sa vie pour se consacrer à la poésie d’abord, à la littérature ensuite. Le succès advenu précocement, la gloire quasi mondiale qui l’accompagne ensuite lui apporteront la sécurité matérielle dans les moments dramatiques à venir : la défaite allemande de 14-18, la dislocation de l’empire d’Autriche, l’inflation irrépressible des années 1920, la grande dépression des années 1930, le fascisme, l’antisémitisme, le début du second conflit mondial qui forceront tant de ses amis et lui-même à un douloureux exil.
La vie intellectuelle et artistique des amis de Stefan Zweig est sans cesse évoquée ici à propos de son œuvre : les recueils de nouvelles, les biographies, la dramaturgie, la correspondance sont disséquées méthodiquement par Dominique Bona pour alimenter un portrait du personnage à double face. Derrière l’apparence élégante, la courtoisie, la réussite sociale, le style impeccable en toute circonstance vit une âme tourmentée, pessimiste à l’excès qui finira en dépression jusqu’au choix de tirer sa révérence prématurément au Brésil devenu sa terre d’adoption après une longue période d’errance. Un sentiment d’impuissance face à la disparition de l’Europe qu’il aimait tant a eu raison de ce pacifiste de nature, publiquement engagé en faveur de la paix des années durant.

Colen8 - - 82 ans - 10 août 2019