Dans le jardin de l'ogre
de Leïla Slimani

critiqué par Hervé28, le 20 septembre 2014
(Chartres - 54 ans)


La note:  étoiles
Sexe, mensonge etc.
Cette rentrée littéraire 2014 est marquée par de très beaux portraits de femmes. Après Bénédicte Ombredanne , de "L'amour er les forêts" d'Eric Reinhardt, voici Adèle Robinson, journaliste, mère d'un enfant, mariée à Richard et surtout une dingue de sexe, qui multiplie les aventures, les coups d'un soir voire d'une heure, et donc les mensonges à son mari.

Le thème abordé ici aurait pu amener l'auteur, Leïla Slimani, dont c'est le premier roman, à un roman érotique voire plus sulfureux, mais non, l'auteur opte pour, curieusement, le roman d'amour. Nous sommes loin de "la vie sexuelle de Catherine M", mais plutôt dans la description d'une vie bourgeoise, d'une femme absorbée par ses fantasmes face à un mari complètement aveugle, ou aveuglé par son amour quasi platonique pour sa femme (d'où les escapades de celles-ci).
"Un homme qui va de femme en femme , on appelle cela un Don Juan, et quand c'est une femme, on appelle ça, tu sais comment?" fredonnait un célèbre chanteur.
Leïla Slimani a pris le parti justement de ne pas juger son héroïne.
On peut comprendre ou détester Adèle, avoir de la compassion pour Richard ou alors du mépris en raison de son caractère égoïste mais les personnages ne laissent pas indifférents.
Avec un final surprenant mais touchant, ce roman qui se lit assez vite (de très courts chapitres, des scènes qui défilent comme au cinéma) m'a vraiment ému.

Une très belle surprise pour cette rentrée littéraire 2014.
J'en conseille la lecture.
La chronique de Froissart 8 étoiles

Titre: Dans le jardin de l'ogre
Auteur: Leïla Slimani
Editeur: Gallimard (NRF) 28 août 2014
Collection Blanche
215 pages
ISBN: 978-2-07-014623-9
Prix en France: 17,50€


Adèle possède tout ce qu'une jeune femme « conventionnelle » peut désirer. Elle a un mari qui l'aime, Richard, chirurgien dans un grand hôpital, statut socio-professionnel conventionnellement valorisé, et que la littérature et le cinéma conventionnels présentent comme étant celui qui attire et séduit le plus les femmes. Ils ont un enfant, un petit garçon, Lucien, que son père idolâtre de manière toute conventionnelle. Elle exerce en totale liberté le métier de journaliste, qui lui permet de voyager et de se trouver là où se fait l'actualité, un métier considéré conventionnellement comme intellectuellement intéressant, statutairement apprécié, et riche de diversité.

Mais Adèle n'est pas conventionnelle. Ce qui est de convention l'ennuie, puis l'agace, puis lui devient insupportable. Toutes les formes conventionnelles de contrainte sociale, familiale, professionnelle lui sont de plus en plus pénibles.

Ainsi Adèle aime son fils Lucien mais cet amour lui pèse parce qu'il est contraignant.

"L'enfant contrariait sa paresse et, pour la première fois de sa vie, elle se voyait contrainte de s'occuper de quelqu'un d'autre que d'elle-même. […] Les journées à la maison lui semblaient interminables."

Sur fond lointain des printemps arabes de Tunisie puis d'Egypte, Adèle veut vivre son propre printemps, veut faire sa révolution. Le milieu de petite bourgeoisie dans lequel elle s'est laissée installer sans réagir par son entourage et par un enchaînement de circonstances conventionnelles ne lui va pas. Le carcan des règles établies l'étouffe. Mais peut-on se révolter ouvertement, sans risquer de passer pour une ingrate ou une folle, contre ce qui est vu conventionnellement comme une réussite sociale, peut-on se rebeller contre un confort matériel auquel les uns et les autres vous félicitent conventionnellement d'être parvenue, peut-on clamer son écœurement d'une situation que la plupart des hommes et des femmes conventionnels vous envient?

Alors la quête d'émancipation d'Adèle, dès l'enfance, sera silencieuse, occulte, sera essentiellement, violemment, éperdument sexuelle, et prendra la forme d'une recherche de plus en plus exacerbée de liaisons plus ou moins suivies, de dons et d'abandons de soi, adolescente, à des camarades d'école, à des adultes, puis, une fois mariée et entrée dans la vie active, à des relations professionnelles, à des amis de son mari, à des inconnus, à une succession d'hommes qui traversent sa vie et son corps à une fréquence de plus en plus effrénée.

Nymphomanie? Addiction sexuelle? Désir frénétique d'auto-destruction, de suicide social? Irrépressible sentiment de ne se sentir physiquement exister aux yeux d'autrui qu'en tant qu'objet de leur plaisir? Volupté croissante à se livrer à la transgression, à savourer l'interdit, à aller au pire de ce qui ne se fait pas, jusqu'à rêver d'inceste et de nécrophilie, par réaction à la géhenne quotidienne engendrée par la prégnance des astreintes morales?

"Elle n'avait pas envie des hommes qu'elle approchait. Ce n'était pas à la chair qu'elle aspirait, mais à la situation. Etre prise. Observer le masque des hommes qui jouissent.[...] Mimer l'orgasme épileptique, la jouissance lascive, le plaisir animal."
Comme la plupart des personnes se mettant en situation de dépendance, Adèle se trouve peu à peu aspirée dans un tourbillon de plus en plus vertigineux. Il lui en faut toujours davantage. Il lui faut aller toujours plus profondément dans la sensation de délectation morbide que lui procure son propre avilissement.

Une autre question se pose alors à elle et au lecteur: cette fuite en avant, bien qu'accompagnée d'un écheveau de plus en plus complexe, de plus en plus difficile à maîtriser, de mensonges et de dissimulations de preuves pour éviter que Richard découvre sa dépravation ne cache-t-elle pas chez Adèle, de même que le désir du passage à l'acte chez une personne aux tendances suicidaires, le besoin d'être reconnue comme un être en grande souffrance?

Inévitablement, la vérité éclatera. Comment réagira, après la violence du choc de la révélation, le médecin qu'est Richard?

"Le lendemain, son diagnostic était posé. Adèle était malade, elle allait se soigner."

Peut-on guérir du dégoût d'exister?

Dans le jardin de l'ogre est un roman qui arrache et qui devrait s'arracher.

Patryck Froissart
El Menzel (Maroc), le 1er octobre 2014


L'auteure:

Leïla Slimani, journaliste à Jeune Afrique, installée à Paris, est née en 1981 à Rabat (Maroc).
Dans le jardin de l’ogre est le premier roman de cette jeune écrivaine marocaine.

FROISSART - St Paul - 76 ans - 21 mars 2022


La triste histoire d’une nymphomane 9 étoiles

C’est parce que « Une chanson douce » n’était pas immédiatement disponible que j’ai voulu m’imprégner du style et découvrir l'écriture de Leïla Slimani. Je ne regrette rien et si le prix Goncourt est aussi bien que ce livre, il n’y a priori pas d’usurpation.

Je suis donc parfaitement d’accord avec la critique principale d’Hervé28 sur ce roman fluide et équilibré. L’écriture est d’une grande justesse et elle donne une formidable impression de vécu malgré l’attitude extrême de l’héroïne.

Le sujet sur la double vie d'une femme atteinte d'une addiction au sexe est certes assez vendeur, mais l’auteur traite sa prose de manière telle qu’on est scotché par une écriture d’une grande efficacité et on oublie le côté troublant et choquant du récit.

Il y a aussi une forme de pudeur extrême face au comportement de l’héroïne qui n’est à aucun moment jugée ni par l’auteur, ni d’ailleurs par les autres personnages du roman.

Leïla Slimani semble réellement être un auteur prometteur.

Pacmann - Tamise - 59 ans - 6 décembre 2016