Les Poilus juifs d'un régiment provençal
de Olivier Gaget

critiqué par JulesRomans, le 5 octobre 2014
(Nantes - 65 ans)


La note:  étoiles
Juif et Provençal deux superbes tares pour certains nationalistes de la Belle Époque, Zemmour rappelle-toi de tous ces "je t'aime"
Philippe-E. Landau dans " Les Juifs de France et la Grande Guerre" avait montré le patriotisme des juifs français (issus du sol hexagonal ou d'Algérie) et étrangers durant la Première Guerre mondiale auquel même Barrès avait rendu hommage. Ici Olivier Gaget s’attache à décrire le parcours précis des combattants israélites du 112e RI basé dans le Var à la Belle Époque.

Sachant Maurras né à Martigues (ce que le préfacier Jean-Yves Le Naour omet de préciser), on rit de cette réflexion de Gaston Méry (mort en 1909) datant de 1892 au sujet des juifs et des méridionaux:

« L’un et l’autre se ressemblent comme deux jumeaux. Comme les juifs ils sont mêlés à nous mais comme les juifs on les distingue au premier coup d’œil. Leur accent, leur manque de tact, je ne sais quoi émane d’eux, quelque chose de faux, d’outré, d’agaçant et de répugnant les font reconnaître, comme une odeur d’ail ».

Il suffit de rappeler la grave accusation lancée par le sénateur de la Seine, Auguste Gervais, dans un article du 24 août 1914: le 15e Corps d’armée aurait reculé devant l’ennemi à Dieuze en Lorraine pour savoir que la presse nationaliste en veut bien plus aux troupes provençales qu’aux coreligionnaires de Dreyfus au début du conflit.

Pour ceux dont le nom est encore inscrit sur une plaque dans une synagogue, c’est le cas de 18 Niçois, l’identification était aisée ; elle fut beaucoup plus difficile pour d’autres aux prénoms d’un usage courant. La page 230 nous livre la trentaine de noms de poilus israélites dont Olivier Gaget a tenté de reconstituer l'ensemble de la vie et le parcours durant la Grande Guerre. Peu d’entre eux étaient des naturalisés issus de l’empire russe (Pologne comprise). L'auteur s'est appuyé sur trois carnets de guerre de ces poilus afin de reconstituer ce passé.

Ce livre est à offrir en particulier à Éric Zemmour, qui nous désinforme au sujet de la protection qu’auraient reçue les juifs français de la part de Vichy. On y voit en particulier que l’officier de l’armée de l’air Maurice Bertman est obligé de se cacher durant toute l’Occupation afin d’échapper aux rafles et que le commandant Abraham Georges Ascoli (qui sert au 112e RI de juin 1918 à mars 1919) meurt à Auschwitz. René Hirschler, le fils du rabbin auprès du 15e corps d’armée (auquel appartient le régiment étudié), est arrêté à Marseille et décède en déportation. Marc Robert Cassin musicien-brancardier (cousin de René Cassin) vit dans la clandestinité et voit son père et sa sœur mourir en déportation… Au fait "rappelle-toi de tout ces je t'aime" est la première phrase du refrain d’une chanson.

Le personnage le plus connu est sans contexte Moïse (devenu Maurice en 1903) Bokanowski né au Havre en 1879, franc-maçon du Grand Orient. Avocat il est élu en 1914 député radical d’Asnières et Saint-Ouen. Partisan de la loi des trois ans de service militaire, il évolue du centre-gauche vers le centre-droit après-guerre. Son fils fut également député-maire d’Asnières. Cet ouvrage est le fruit de réelles recherches et comme souvent la micro-histoire rigoureusement menée permet d'éclairer la "grande histoire".