Clavel soldat
de Léon Werth

critiqué par Radetsky, le 21 août 2014
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Clavel, l'étranger à la guerre
En permission, Clavel rend visite aux mères de deux copains tués...
L'une, bourgeoise "installée dans son deuil patriotique" ne pleure même pas car faisant partie de celles "qui n'aiment pas assez leurs fils pour les pleurer s'ils meurent dans une époque où l'usage veut que meurent les jeunes gens".
Désespoir de notre homme...
L'autre, une vieille couturière, l'empêcha de désespérer. De son fils tué en sortant de la tranchée elle lui montra sa dernière lettre : "Ce que je vois est trop affreux, trop affreux. Je ne voudrais pas être blessé, guérir, revenir, revoir ça. J'aime mieux mourir. Merci de ce que vous avez été tous pour moi". Et elle dit à Clavel :
- Pour qu'il ne soit pas mort, je donnerais la France et l'Allemagne...
"Celle-là... pense Clavel, qui la vengera ?... Et sur qui la vengera-t-on?..."

Ce qui a été défini comme un roman n'est en fait que la chronique autobiographique de Léon Werth, engagé en septembre 1914 (il était né en 1878), présent aux tranchées pendant 15 mois jusqu'à sa blessure.

Les deux passages extraits de son ouvrage condensent la vision totalisante que Werth sut tirer de son expérience de soldat. Il ne se contente pas de décrire, de raconter les faits et méfaits dont il est le témoin. Il en est le scrutateur, le juge, l'analyste fin et sans concession aucune du climat délétère que la guerre de 14-18 suscita au front comme à l'arrière.
Il en apparaît comme détaché, gardant intacte sa faculté de jugement, plongeant son regard acéré et féroce non seulement sur les faits et gestes de ses compagnons de misère, mais sur les tares d'une société qui a été capable d'engendrer, de promouvoir, de cultiver, de provoquer enfin et d'accepter... ça ! Cette horreur qui ne devrait pas même avoir de nom prononçable par un humain digne de ce nom. Sans exaltation, sans apitoiement larmoyant, sans démonstrations autres que celles portées par la guerre au jour le jour. Un regard d'entomologiste, de médecin presque.

On l'a qualifié d'anarchiste, d'antimilitariste et de misanthrope... Au vu et au su de ce qu'il a vécu, on ne peut que l'approuver.
Son acrimonie systématique, qui indisposa jusqu'à Jean Norton-Cru, lui aura épargné toute séduction de style ou de fond, qu'elle fût inspirée par des soucis littéraires, esthétiques, moraux, ou autres. L'écriture est précise, presque sèche, visant non à produire un "effet", mais à extraire du réel la vérité des faits et des êtres.
Sa détestation du monde "comme il va" a pris là ses racines et il saura l'illustrer à nouveau dans la suite de son existence.

Le dédicataire du "Petit Prince", pour sa part loin des "grands" de ce monde qui soi disant "font l'Histoire", rejoint les grands chroniqueurs, Villehardouin, Commynes, Saint-Simon, mais sans emphase, sans commanditaire, sans ambition et sans parti pris si ce n'est celui des martyrs.