Seigneurs et nouvelles créatures
de Jim Morrison

critiqué par Bluewitch, le 24 octobre 2003
(Charleroi - 44 ans)


La note:  étoiles
Le poète maudit
Quand le fantasque des âmes torturées prend vie sur papier, souvent le résultat laisse le lecteur dérouté, surpris, dérangé mais fasciné. Ici, c’est le cas. Quand ces textes prirent vie et furent édités (à compte d’auteur), Jim Morrison sut qu'enfin, pour la première fois, « il ne s'était pas fait baiser ». Qu'il avait enfin pu laisser ses mots prendre corps, que son image de star pop, d’ange égaré, ne lui avait pas été collée sur le dos. Enfin, il avait pu être ce qu’il voulait être et non ce qu'on désirait qu’il fut. Un écrivain.
Dans la première partie « Les Seigneurs », c’est une vision cinématographique de l’humanité qu’il nous apporte, pour mieux accentuer sa superficialité. C'est le cri du refus, de l'incompréhension d'un monde maudit. « La division des hommes en acteurs et spectateurs est le fait de notre temps. Nous sommes obsédés par des héros qui vivent pour nous et que nous punissons. » Ces journalistes vautours, à l’Ïil malsain et destructeur. « Des caméras dans le cercueil interviewant les vers de terre ». Tout autant de phrases percutantes, hurlante de colère et de dégoût. Contre ces sensations par procuration, qu’apporte le cinéma. « Les films ne sont que des images mortes auxquelles on donne une insémination artificielle ». Vision schizophrène parfois, de cet univers extérieur consumant « Tout est vague et vertigineux. La peau enfle et il n'y a plus de distinction entre les parties du corps. On est gagné par le son de voix menaçantes, moqueuses, monotones. C'est la peur, l’attirance de la Dévoration. »
C'est poursuivre par des visions poétiques, soumises aux mots qu’elles canalisent. Dans la deuxièmes partie, ces nouvelles créatures sont là, ces images sulfureuses, violentes, douces, apaisantes.
Ce livre est une beauté, c’est un esprit qui se révèle, se sent libre d'être, de se donner de la place, de vivre enfin sa vie.
Une version bilingue qui laisse aux mots de Morrison toute leur saveur, leur naïve sincérité.
Un recueil surprenant, magnifique et simple. Ouvert, candide et pourtant cruellement lucide.
Qu'il est bon de donner la parole à certains...