Affiches du cinéma fantastique
de Gérard Mangin

critiqué par Malic, le 7 septembre 2014
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Iconographie de l’épouvante
Ce superbe album illustre un moment du cinéma fantastique, celui de l’âge d’or de l’affiche dessinée, les années 50/60, avant la généralisation de l’affiche photographique et sa standardisation affligeante. « Cinéma fantastique » est pris ici dans un sens très large, qui englobe la science-fiction, surtout quand elle s’accompagne d’horreur, ainsi que des films dépourvus d’éléments irréels, mais que leur caractère horrifique (histoires de psychopathes, de sadiques de savants fous etc) rattachent au genre dans l’esprit du public. Pour ce dernier en effet, les notions de film fantastique, film d’horreur, film d’épouvante, se confondent. L’époque couverte est celles de classiques américains comme « La maison du diable », « L’homme au masque de cire », « La mouche noire », mais aussi des productions de la Hammer et de ses concurrentes, qu’elles soient britanniques, ou italiennes, allemandes, espagnoles, dont quelques chefs-d’œuvre, comme certains films de Fisher ou « Le masque du démon » de Mario Bava. Et aussi bien sûr des séries Z bis, comme l’inénarrable nanar germanique « Le mort dans le filet. »

A l’instar des autres genres, la fonction de ces affiches est d’attirer le spectateur dans la salle. Ici, elles jouent sur l’imaginaire, l’attrait du mystère et de la peur, et beaucoup également sur ce qu’il est convenu d’appeler « les bas instincts » du spectateur : sadisme, désir de possession, perversité, lubricité etc, dont la victime est pour ainsi dire toujours féminine. Cet art de l’affiche, pour des raisons à la fois d’époque et commerciales, était très machiste, et souvent beaucoup plus que les films eux-mêmes . Un premier plan largement récurrent est celui de la jeune femme plus ou moins dévêtue étendue au premier plan, inanimée, ou du moins pantelante et terrorisée, et qu’on imagine livrée à toutes les épouvantes et à tous les sévices. Encore plus fréquemment, ces affiches déclinent à l’infini le mythe de la Belle et la Bête (dont la traduction cinématographique la plus populaire reste king kong), montrant là aussi une jeune femme désirable, emportée dans les bras de créatures monstrueuses au physique ou au moral. Au fil des pages, on voit tour à tour dans le rôle du prédateur, le vampire, la momie, le loup-garou, le zombie, la créature du Lac noir, le monstre de Frankenstein, Le docteur Fu Manchu, le robot, l’araignée géante Tatantula, le bourreau médiéval cagoulé, le savant fou, le psychopathe et d’autres encore. Cette image de rapt dans une intention supposée luxurieuse est parfois totalement mensongère puisque dans les films, certaines de ces créatures ( Tarantula par exemple) sont totalement insensible au sex-appeal féminin ! Comme le mentionne l’auteur du livre « ce que la pellicule ne pouvait offrir, l’affiche le procurait. »

Cette imagerie de l’épouvante fait souvent preuve d’une grande maitrise technique, jouant sur les regards, sur le cadrage, sur la composition de l’illustration (utilisant notamment le dynamisme des diagonales.) Les couleurs ont également un rôle expressif essentiel : le noir obligé, mais plus souvent encore le bleu glacial des nuits avec ou sans lune, lieu de toutes les terreurs, ou le rouge du sang, du feu, des passions frénétiques, des créatures infernales.

Certaines de ces affiches sont très belles. La plus fameuse est celle du « Cauchemar de Dracula » figurant en couverture et qui a souvent été reprise (cf « Dans les griffes de la Hammer », critiqué sur CL.) Elle donne une vision parfaitement conforme à l’esprit du film de Terence Fisher : le château gothique noyé de brume, un Dracula beau ténébreux, à la fois prédateur et séducteur, le clair de lune bleuté qui vient se fondre avec le déshabillé turquoise de la jeune femme vampirisée, lui conférant une silhouette fantomatique tandis que son visage (inanimé mais traduisant davantage l’extase que la terreur), se colore encore du rose de la vie ; belle illustration du mythe du vampire, moitié mort moitié vivant.

Si cet album se consacre avant tout à l’épouvante, il fait toutefois une place à la féérie avec Les affiches du « Septième voyage de Simbad » ou de « Jack le tueur de géants » images dignes de nos livres d’enfant.

La France, dont le cinéma n’a jamais beaucoup exploité le fantastique ni l’horreur, n’est représentée que par deux films, une « Malédiction de Belphégor » inspirée de la série télé et surtout le chef-d’œuvre poétique et glaçant de Georges Franju, « Les yeux sans visage », dont l’affiche est hantée par le regard d’une insondable mélancolie d’Edith Scob.

Les illustrations de ce volume de grand format, sont pour la plupart en pleine page. Chaque sous-genre fait l’objet d’une présentation et chaque film s’accompagne d’un résumé, d’une fiche technique et d’un commentaire décryptant les divers éléments de l’affiche et mettant en lumière les "codes" de cette iconographie.

Un séduisant album aux couleurs de l’imaginaire et de la peur et qui vous donnera peut-être envie de voir ou revoir certains des films évoqués.