Un temps de saison, suivi de "La Trublionne de Pierre Lepape"
de Marie Ndiaye

critiqué par Eric B., le 26 juillet 2014
(Bruxelles - 57 ans)


La note:  étoiles
Une inquiétante étrangeté kafkaïenne
Mais pourquoi donc, les vacances terminées, quitter le Grand Ouest pour Paris le 2 septembre plutôt que le 31 août, engendre-il cette situation pour le moins étrange que la femme et le fils du « Professeur », le personnage principal, disparaissent sans laisser de trace, et qu’il se met à pleuvoir sans discontinuer, avec l’assurance que le beau temps ne reviendra pas avant le 15 juin ? On l’ignorera, et nul besoin de le savoir, d’ailleurs, mais telle est la donnée de départ de ce roman qui, à l’instar de son prédécesseur, En famille, explore à nouveau le thème de l’opacité totale d’une micro-société donnée pour un personnage qui lui est étranger. Point de violence, ici, bien au contraire. Tous les habitants du village auxquels le Professeur s’adresse pour retrouver sa femme et son fils le traitent avec une exquise urbanité dont il n’est pas dupe cependant, comprenant que leurs façons courtoises reviennent peu ou prou à l’éconduire en y mettant les formes. A défaut de pouvoir rencontrer le maire du village, dont l’agenda est rempli pour plusieurs mois, le Professeur est mis en présence du directeur du syndicat d’initiative local, ancien Parisien victime lui-même d’une mésaventure identique, et qui lui indique la marche à suivre : se fondre dans le village, faire oublier son origine parisienne, devenir en quelque sorte incognito et prendre patience …

Peu après la lecture d’En famille, qui m’avait déjà enchanté, celle d’Un temps de saison m’a procuré un plaisir littéraire encore supérieur. L’intrigue est beaucoup plus resserrée, avec une unité de temps et de lieu qui fait souvent penser au théâtre. Très peu d’indications de décor, si ce n’est de récurrentes allusions à la pluie et au froid. On pense à Kafka, encore et toujours, bien sûr – celui du Procès ou du Château – mais aussi, parfois, au Polanski du Locataire ou de Rosemary’s baby : même climat fantastique puissamment ancré dans le réel, des personnages aux comportements légèrement décalés et aux mobiles opaques, un soupçon de paranoïa qui infuse dans tout le récit et aussi, un peu d'érotisme et de voyeurisme dans un univers où tout le monde s'espionne et se tient.

Ce livre a 20 ans. Avec la patine du temps, son auteur mérite déjà le rang de classique. Car ce roman est tout simplement ma-gi-stral, tant sur le fond que sur la forme !