La femme du docteur
de Mary Elizabeth Braddon

critiqué par Pierrequiroule, le 22 juillet 2014
(Paris - 43 ans)


La note:  étoiles
La vie comme un roman
A 18 ans, Isabel Sleaford se réfugie dans les romans pour oublier la médiocrité de son existence. Recluse dans une petite ville de province, entre un père absent et une belle-mère acariâtre, la jeune fille ne trouve décidément pas matière à satisfaire son imagination. Quant à l’amour, il vient à sa rencontre d’une manière bien prosaïque en la personne du Docteur Gilbert, jeune praticien pétri de bon sens mais o combien ennuyeux… Isabel sombre alors dans la mélancolie, sans se douter que la vie lui réserve des aventures dignes de Walter Scott et de Charles Dickens. Des châteaux, des secrets de famille, une horrible vengeance et même un héros byronien l’attendent au bout du jardin. Mais le romanesque ne va pas sans une dose de tragédie. La jeune femme apprendra à ses dépens que certains rêves engendrent la douleur.

Ce roman, publié en 1864, est une excellente surprise ! Mary Elizabeth Braddon y fait preuve de son talent accoutumé pour les intrigues teintées de mystère. Mais ce n’est pas tout. On y trouve aussi une réflexion en abîme sur l’imaginaire et sur la carrière littéraire au milieu du XIXème siècle. Le personnage de Sigismund Smith, auteur de feuilletons à suspense, est en quelque sorte l’alter ego de Mrs Braddon, ou du moins son double au rabais. Dans une Angleterre victorienne avide de sensations, ces « nègres de la plume » sont nombreux. J’ai particulièrement apprécié le regard distancié de Mrs Braddon sur son propre métier et sur la fiction en général. Peut-on être pleinement heureux dans une dimension imaginaire? Existe-t-il des héros faits de chair et de sang? Le livre est truffé de références littéraires puisqu’Isabel Sleaford lit des œuvres de Thackeray, Dickens, Bulwer-Lytton, Byron, Shelley, etc. Mais cette passion dévorante pour la fiction est dénoncée par Mrs Braddon avec une ironie douce-amère. « La femme du docteur », c’est un peu Mme Bovary et Catherine Morland (héroïne de Jane Austen) réunies ! C’est surtout un roman très touchant, intelligent et peu conventionnel qui parlera à tous ceux qui cultivent leur jardin imaginaire.