Ubik, le scénario
de Philip K. Dick

critiqué par AmauryWatremez, le 7 juillet 2014
(Evreux - 54 ans)


La note:  étoiles
Dick est vivant, sommes nous morts ?
Les éditions « Hélios » ont sorti le scénario d'un des livres les plus célèbres de Dick, écrit après sa fameuse « crise mystique » de 1974, dessinée par Robert Crumb dans un numéro célèbre d'« Actuel », qui plus qu'une illumination serait due à une épilepsie cérébrale causée par l'absorption par l'auteur de « le maître du Haut Château » de beaucoup trop d'amphétamines pour écrire ses pages quotidiennes afin de le nourrir lui et sa ou plutôt ses familles, les amphétamines étant à l'époque dans les fortifiants que l'on donnait aux enfants en vente libre et non dispensés par des dealers.

Une seule petite nuance sur cette réédition, on y trouve beaucoup trop de coquilles et quelques approximations orthographiques comme ces « voitures parkés » avec un « k » malvenu. Et sous couvert de « faire moderne », on trouve quelques vulgarités inutiles que Dick n'utilise que très rarement dans ses livres.

Un rayon de lumière rose provenant d'une sagesse étrangère à notre monde lui aurait transmis un savoir jusque là inconnu, lui permettant en passant de guérir son fils atteint d'une malformation cardiaque congénitale, et il aurait eu de nombreuses autres révélations confirmant ses thèses sur la fragilité de la réalité, et la certitude que l'Empire Romain est toujours en place et qu'il est la réincarnation de Saint Paul. Et Dick s'est mis à écrire ce que ses exégètes appellent à tort sa « Trilogie Divine » qui est d'ailleurs une tétralogie celle-ci commençant avec « Radio Libre Albemuth ».

Et comme c'est un écrivain de talent, il a su garder d'un bout à l'autre un recul, une distance, un second degré, et l'ironie qu'il fallait sur les errements de ses personnages, racontant non pas une histoire du futur, quoi que la société de l'avenir qu'il décrit soit plus ou moins la nôtre au fond, mais décrivant la désillusion que furent pour lui les années 70, la réélection de Nixon, alias Ferris F. Fremont (pour 666 le chiffre de la bête) dans la « Trilogie » et la « machinisation » progressive de l'être humain qui y perd son âme en passant devenant un genre d'androïde incapable d'empathie que seuls bien souvent les robots et les simulacres de personnes dans ses livres sont capables de faire preuve.

On peut même se demander quelle est la part de mystification dans ce récit de la crise de 74. Invité à faire une conférence en France en 77, Dick, une croix pectorale autour du cou, fait ce que le public présent attend de lui, il joue à l'écrivain psychédélique (alors qu'il n'a jamais pris de drogues hallucinogènes contrairement à ce que sa réputation a laissé entendre jusqu'en 2014). Face à l'ahurissement de certains des auditeurs après un discours incohérent, et répondant à leur seule et unique question, Dick répond embarrassé qu'il a simplement voulu leur en donner pour leur argent.

On peut préférer la lecture de ses quatre romans à son « Exégèse » gigantesque, contradictoire d'un chapitre à l'autre, écrite au fil de ses pensées et ratiocinations. « Ubik le scénario » est une réécriture du roman, qui resserre l'intrigue autour de certains thèmes, s'attache à moins de personnages, retravaillant son ouvrage.

Dick répond à la demande enthousiaste d'un producteur français, qui voulait se faire connaître à Hollywood, après avoir produit quelques « bis » à alibis politiques et subversifs intéressants mais très loin de chefs d’œuvre comme « Punishment Park » de Peter Watkins,, de pouvoir l'adapter en écrivant ce scénario en trois semaines fiévreuses. L'auteur s'étonna que le producteur, Jean-Pierre Gorin, ne trouva jamais de financiers pour produire ce film impossible à faire avec les effets spéciaux de l'époque et qui aurait coûté deux ou trois centaines de millions de dollars.

Le lecteur rêve du film que cela aurait donné, très éloigné des adaptations parfois aseptisées et lisses de Dick, « Paycheck », « l'Agence », et s'il est doué d'un minimum d'imagination il le regarde vraiment en esprit sans avoir besoin de mâcher quelque buvard rose, et finalement cela aurait pu donner une œuvre très proche de « les Décimales du Futur » de Robert Fuest, d'après Michael Moorcock. Bien plus que l'explication mystique de la Trilogie, je reste cependant persuadé que toute sa vie Dick a douté de la réalité de ce monde et de cette société car ceux-ci avaient permis qu'une petite fille, sa jumelle, meurt du fait de la sottise des adultes, indifférents à cette mort, tout en se proclamant au faîte du progrès.

Dick est toujours vivant, et dans cette société dans laquelle nous vivons qui est la même, exacerbée dans ses défauts, de ses livres, nous sommes pour la plupart en « semi-vie », congelés dans nos certitudes égoïstes, survivant en oubliant la plupart du temps notre conscience...