Fixer le ciel au mur de Tieri Briet

Fixer le ciel au mur de Tieri Briet

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 20 juin 2014 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 337ème position).
Visites : 1 610 

Thérapie littéraire

« L’histoire commence aujourd’hui… Un jour de canicule dans une ville inconnue, dans ce couloir d’hôpital où tu vas t’engouffrer…. Décidée à guérir maintenant que tu sais le danger ». Un père accompagne sa fille âgée de dix-sept ans dans une unité de soin où elle suivra un traitement pour vaincre l’anorexie dont elle est victime. Acceptant mal cette séparation, il lui écrit un texte inspiré par quatorze chansons qu’ils ont écoutées souvent ensemble, quatorze chapitres qui constituent autant de jalons balisant leur vie commune, les moments de bonheur, les moments de doute, le divorce, la nouvelle femme, les nouveaux frère et sœur, les émotions littéraires, les lectures partagées, il veut raconter ce qui fut pour croire que cette vie sera à nouveau. « C’est ton histoire et c’est aussi la mienne, dans l’épreuve qui les délie maintenant l’une de l’autre ».

Cette démarche constitue aussi un effort pour comprendre pourquoi sa fille a sombré dans cette forme de mélancolie alimentaire, ce refus de la nourriture qui ne peut plus transiter par son œsophage obstrué par un nœud virtuel mais très efficace. « Devenir la main d’un père qui écrit à sa fille, en essayant de retrouver les filaments de ton histoire. Et si j’y arrive, pourvoir tisser patiemment, fil à fil, les récits d’autres vies de femmes que je voudrais te raconter ». Et le père raconte la vie de femmes qui ont dû lutter pour surmonter l’internement, l’exode, la déportation, l’exil et mille autres humiliations sans jamais baisser la plume. Il évoque notamment Hannah Arendt et Musine Kokalari, la philosophe juive allemande fuyant devant le nazisme et la poétesse albanaise emprisonnée puis assignée à résidence dans un coin perdu de son pays.

Avec une écriture lisse, fluide, élégante, toujours très juste, qui coule paisiblement tout charriant la douleur et le désarroi d’un père impuissant devant cette pathologie méconnue, Tieri Briet essaie d’entraîner sa fille dans une complicité littéraire qui pourrait l’extraire de la morosité dans laquelle elle a laissé son appétit. Il lui décrit comment ces femmes, résidant presque toutes en Zagreb et Tbilissi, ont dû et su lutter pour construire des vies possibles. Ce père éprouve une profonde tristesse mais ne se lamente pas, il ne geint pas, il n’essaie pas de reconquérir sa fille par un amour filial dégoulinant, il cherche simplement à l’entraîner dans une complicité intellectuelle et littéraire sur la route d’une passion qu’ils ont ébauchée ensemble et qu’ils pourraient vivre ensemble, une forme de thérapie à double sens : extraire la fille de son anorexie en redonnant un sens à sa vie et éviter au père de sombrer dans une tristesse pathologique et de s’enfoncer dans la culpabilité. Tresser un fil rouge entre sa fille et lui comme celui que Musine Kokalari a tendu entre Hannah Arendt et elle à travers un livre qu’elle dissimulait précieusement, sans même que la grande philosophe le sache.

Et le père pense, sait, qu’après avoir lu ce texte sa fille comprendra son message, qu’elle retrouvera goût à la vie, qu’elle saura quel sens lui donner et qu’il n’aura « plus besoin d’avoir peur ».

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"Lettre à ma fille"

8 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans) - 21 octobre 2014

Cela commence par une chanson douce "Le Sud". Un père pense à sa fille de 16 ans qu'il vient de laisser pour un mois dans un hôpital. Ce séjour, accepté par eux deux, doit permettre à Leàn de sortir de l'infernale spirale de l'anorexie. Elle veut guérir et l'enfermement à un mois de son entrée en terminale est une nécessité.
Une nécessité qui n'en reste pas moins d'une extrême violence provoquant dans le cœur du père un véritable déchirement.
Il va lui "parler", à travers un long courrier. Il commence par installer une ambiance sonore, "je sais que les chansons peuvent servir d'antidote au malheur et aux deuils", puis doucement évoque leurs souvenirs communs, puis ses souvenirs à lui, espérant, en lui présentant les deux femmes qui lui ont servi de "modèles", qu'elles pourront aussi aider sa fille. Il va donc raconter les vies de Musine Kokalari et Hanna Arendt. Deux femmes qui lui ont permis de traverser des passages douloureux. Deux femmes aux destins incroyablement difficiles mais qui trouveront dans la lecture et l'écriture un moyen d'échapper à l'enfer .

Impossible de ne pas penser aux livres du médiatique Patrick Poivre d'Arvor. La vie, le combat et la mort de Solenn me venaient inévitablement à la mémoire, même si leur lecture remonte à plus de 10 ans.
Mais les pages suivantes m'ont déconcertée. L'auteur a trouvé une façon originale d'échanger avec sa fille: en lui livrant des pans de sa vie, en évoquant la vie de deux femmes exceptionnelles.
Et l'on est soi-même emporté par sa narration, on voyage avec lui, on comprend qu'il emmène sa fille avec ses mots... et on souhaite qu'elle le suive comme on l'a suivi. A tel point que l'on a envie d'en savoir plus sur Musine.

Tout cela est raconté avec beaucoup de finesse, d'émotion. Un livre surprenant et déstabilisant par son originalité et par la densité de son écriture.

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