Le temps de l'innocence
de Edith Wharton

critiqué par Saule, le 29 septembre 2003
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
Amour impossible
New-York, fin du 19ème siècle. Archer Newman est heureux. Du haut de sa loge d'opéra il contemple la belle et pure May avec laquelle ses fiançailles vont être annoncées le soir même. Cependant son regard s’attache un peu trop à la cousine de sa future épouse, la belle comtesse Ellen Olenska qui revient d'Europe, divorcée, et qui, bravant toute les conventions, s'affiche en société.

Le schéma classique : Archer tombe amoureux de la belle comtesse et est déchiré entre cet amour et son sens de l'honneur. Un amour réciproque mais impossible, le jeune homme respecte bien trop sa fiancée et puis il y a le poids des conventions sociales, même si le jeune homme sent bien qu'il existe un monde différent que celui imposé par son milieu. Sa fiancée, qu'on imagine au départ être une belle potiche, prend une consistance inattendue et se révèle dans un final éblouissant.

Une banale histoire d'amour contrariée ? Oui mais écrite par Edith Wharton cela prend une toute autre dimension. Comme d'habitude elle place son récit dans le milieu de la haute société New-Yorkaise, milieu qu'elle connaît bien pour en être issue. La bienséance, les liens familiaux et les conventions sociales y sont élevés au rang de religion suprême.

Edith Wharton donne sa pleine mesure dans ce roman qui reçut le prix Pulitzer (attribué pour la première fois à une femme). D'une histoire à priori banale elle réalise une étude sociale et psychologique passionnante et toute en nuance. Il faut donner une mention spéciale pour le dénouement qui donne une dimension supplémentaire aux principaux personnages. Si je ne donne pas cinq étoiles c'est pour la simple raison que j'ai lu juste avant "Les New-Yorkaise" qui m'avait paru encore supérieur (pour son humour notamment).
Très belle oeuvre 9 étoiles

Description efficace des rituels sociaux de la «haute société « de New York à la fin du XIXème siècle. Pour être accepté parmi ces privilégiés, il fallait respecter une discipline de vie, d’éducation, vestimentaire implacable, sous peine d’être exclu ou mis en quarantaine.

Edith Wharton évoque très bien les limites du territoire auxquelles sont assignés ceux qui veulent y rester, en retirer les avantages liés aux réseaux. Personne n’est libre parce que chacun doit vivre en fonction du regard des autres, ce qui ne peut manquer de former ou déformer psychologiquement les hommes et les femmes de cette époque.

Le texte en français est beau et efficace. Les tribulations du héros Newland Archer tentant de s’évader de ce destin , de vivre une autre vie sont magnifiquement décrites . L’auteur parvient à favoriser notre empathie avec ses héros, les hésitations de Newland, la tyrannie de toutes ces vieilles dames qui régentent ce milieu, le charme sulfureux de la comtesse Olenska, le cynisme des nouveau riches, l’innocence de la fiancée de Newland, la fragile May, etc..
Et même de nous réserver une surprise finale!

Dans sa préface d’ailleurs Diane de Margerie traite de «L’ambiguïté de l’Innocence»!
Je cite «L’innocence de May avec laquelle Newland se marie, a un caractère de prédation de par son utilisation pratique»
May est d’autant plus efficace que Newland fait preuve d’une lâcheté évidente. C’est May qui utilise l’arme totale afin de sauvegarder son mariage et leur place dans la société du vieux New York.
Mais je laisse aux futurs lecteurs le plaisir de découvrir les différentes stratégies utilisées par les personnages pour survivre dans ce milieu.

Le hasard de mes lectures ( Bienvenue dans le désert du réel de Slavoj Zizek) m’a fait découvrir que cette même ambiguïté de l’innocence avait attiré l’attention de Lacan sur le statut paradoxal d’un savoir du savoir de l’Autre.
Dans le retournement final de l’Age de l’Innocence» le mari, qui a entretenu une passion coupable pour la comtesse Olenska, apprend que sa jeune épouse savait...
« C’est l’énigme du savoir : le fait que toute l’économie psychique d’une situation puisse être totalement bouleversée non parce que le héros apprend quelque chose qu’il ne savait pas, mais parce qu’il apprend que celui qu’il croyait ignorant savait depuis le début et faisait comme n’en savait rien pour sauver les apparences.
Existe-t-il une situation plus humiliante que celle d’un mari longtemps infidèle qui apprend que sa femme connaissait sa liaison mais de garder le silence, par politesse ou par désamour?!!!

C’est tout l’intérêt des grands livres, la richesse des interprétations ou les questions qu’ils suscitent.

Donatien - vilvorde - 81 ans - 12 août 2012


Un classique à lire 7 étoiles

Il s'agit de ma première lecture de Wharton. Ce roman, un peu lent, est très beau.
Les descriptions y sont très cinématographiques et celles des personnages permettent de bien les cerner. Ce monde glacé de convention y est particulièrement décrit jusque dans ses travers.
Au delà de l'amour contrarié, deux mondes sont confrontés le nouveau et l'ancien monde, les conventions des familles et celles d'une femme qui veut être libre.

Mallaig - Montigny les Cormeilles - 47 ans - 5 janvier 2012


Les faux semblants 8 étoiles

Le temps de l’innocence est un très agréable roman qui, bien plus que la simple et éternelle histoire d’un amour contrarié, est une passionnante description de la haute société new-yorkaise à la fin du dix neuvième siècle.
Bien que ce milieu soit le sien, il y a chez Edith Wharton la distanciation nécessaire à une analyse fouillée et objective d’un monde, aujourd’hui disparu, où les convenances l’emportent sur les sentiments, où les codes mondains brident les existences sans d’ailleurs que la plupart du temps les protagonistes en prennent conscience.
L’auteur fait un travail d’entomologiste qui agite ses personnages dans cet univers si précis, si confiné et fondamentalement si ennuyeux. Elle a aussi le talent fantastique de savoir casser ces codes dans une fin qui est tout à fait superbe.
Un livre à lire ou à relire, moins pour un histoire aujourd’hui quelque peu désuète que pour la peinture acide d’un milieu qui n’a encore rien réinventé et n’a de cesse de vouloir transposer en Amérique les rites de la vieille Europe.
Il y a aussi dans « Le temps de l’innocence » cette volonté forte de faire semblant tout à la fois de croire que May et Newland forment un couple idéal et d’admirer Ellen qui…Ces faux semblants de la haute société new-yorkaise ne sont pas rappeler- mais peut-être est-ce un peu audacieux- ceux que décrit Jonathan Franzen dans « Les corrections » quand il observe la classe moyenne américaine à la fin du vingtième siècle qui elle aussi fait semblant de croire que tous les Américains sont tous semblables ce qui est une malhonnêteté de pensée.

Jlc - - 80 ans - 2 février 2010


Une passion coupable 9 étoiles

Difficile de lire un livre sans que les images du film nous viennent sans cesse à l'esprit surtout quand on a vu le dit film une bonne douzaine de fois tellement on l'a aimé !

Donc, pour moi, l'intérêt de la lecture s'est borné à constater les différences entre l'oeuvre écrite et l'oeuvre cinématographique car le film est presque en tout point conforme au livre sauf pour certains personnages qui sont absents dont le père de May Welland. Différences aussi au niveau des noms : Dallas pour la femme de Beaufort alors que dans le film elle est une Townsend. Certains passages ont été remaniés bien sûr et des dialogues ont été déplacés.

Ceci dit, je me suis plongée dans cet univers de la haute société du Vieux New-York avec beaucoup de bonheur. Un univers dominé par les traditions et le bon ton, esclave de "ce qui se fait" et de "ce qui ne se fait pas". Tout ce qui dérange et peut compromettre l'harmonie et les apparences doit être tué dans l'oeuf ou occulté. Ainsi, la séparation de Madame Olenska d'avec son mari est un scandale qui atteint sa famille et la marque d'une tache que tout le monde s'efforce de faire disparaître en incitant fortement la comtesse à retourner bien gentiment auprès de son mari malgré le fait que ce retour signifie pour elle une descente aux enfers. C'est ce que Newland Archer a compris et dès qu'il rencontre sa cousine originale, il en tombe éperdument amoureux, mettant en péril son propre mariage avec May. Mais la pression de la famille est puissante et Newland n'aura jamais la force de caractère nécessaire qui lui aurait permis de vivre sa propre vie selon ses désirs et passions et non continuer cette mascarade qui fait de lui un mort-vivant.

Un livre qui démontre la force des traditions et le péril auquel on s'exposait à l'époque, lorsqu'on osait transgresser les règles bien établies de ce milieu. Bien sûr, c'est fin, subtil et bien écrit... c'est du Wharton.

Dirlandaise - Québec - 68 ans - 22 mai 2008


très beau 9 étoiles

un peu déconcertant au début (surtout pour une première lecture de Wharton), le fait qu'il ne se passe pas grand chose impatiente un peu.... puis on rentre dans l'histoire et l'évolution de chacun devient captivante.
Surtout cette découverte des moeurs de New-York au 19 ème siècle est très intéressante.
Cette histoire d'amour interdit se laisse savourer.

Clementine - - 56 ans - 2 octobre 2005


Ou la notion du "bon ton" 8 étoiles

Je ne peux que rejoindre Saule dans sa description du style intelligent d'Edith Wharton. Pas de mièvrerie, pas d'égarement. Juste l'histoire d'une conscience bridée, qui tente sans réussir de s'échapper du carcan social et bourgeois. Quand la passion rend bien fade la satisfaction qui créait le décor du quotidien.
Newland Archer est étriqué dans ce monde conservateur et l'arrivée de la comtesse Olenska rend d'autant plus âpre les contours de la réalité. Il se bat avec sa conscience, pourrait perdre pied mais... jusqu'où peut-on affronter les règles de bienséance?
Un roman incisif et, au fond, dur, malmenant. Sans lourdeur pour autant. On sent qu'Edith Wharton aime ses personnages pour avoir vécu dans le milieu où elle les fait évoluer, sans pour autant les ménager.
Excellent.

Bluewitch - Charleroi - 44 ans - 26 février 2005